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Célébration pour Manuel Jardinaud

Célébration pour Manuel Jardinaud

Eglise Saint Etienne du Mont
18 mars 2021

Homélie

C’est une même peine qui a réuni jeudi 18 mars dernier, dans l’église de St Etienne-du-Mont, les proches et les amis de Manuel Jardinaud. Journaliste talentueux, parti beaucoup trop tôt, trop soudainement des suites d’un infarctus. Sa mort ouvrait en chacun l’espace d’un questionnement : pourquoi ? pourquoi sommes-nous si fragiles, à la merci d’un corps si vulnérable ? Ensemble, chacun suivant ses convictions comme Manuel l’aurait souhaité, nous avons fait mémoire de sa belle personne, et nous avons replongé dans ce qui faisait sa joie de vivre et le partage de ces pensées profondes qui nous éveillent au meilleur de la vie, comme au vertige de son terme. Si c’est dans une église que Manuel nous a réunis, ce n’est pas parce qu’il en partageait la foi, que parce qu’elle symbolise le mystère de nos vies, l’énigme de l’existence, à laquelle toute personne se confronte. Une église invite à croire que la vie ne s’arrête pas avec la mort. Nous avons rendu grâce pour la vie de Manuel, la joie de l’avoir connu et aimé et dans la diversité des convictions de chacun, nous l’avons porté vers l’au-delà de cette vie, vers la tendresse de Dieu pour ceux qui croient en Lui.

Voici l’homélie prononcée.

1/ Avec vous tous, je voudrais faire mémoire de Manuel et le confier à la tendresse de Dieu. Je voudrais commencer par vous inviter à faire mémoire de Manuel, en considérant tout ce qui de lui s’est imprimé en vous. Nous sommes riches de tout ce que nos rencontres, nos amitiés ont déposé et façonné en nous. Nous sommes tous tissés des rencontres que nous avons faites et il est probable que le meilleur de nous-même c’est ce que les autres y ont mis, et c’est pourquoi nous pouvons exprimer toute notre gratitude à l’égard de Manuel pour tout ce qu’il a déposé en chacun de vous. Chacun peut faire mémoire d’un moment de rencontre avec lui et faire remonter à sa mémoire le souvenir de son visage. Et s’il est vrai que nous nous donnons les uns aux autres, que nous sommes riches de nos rencontres, alors Manuel était lui-même nourri et façonné par votre présence dans sa vie et il vous emporte avec lui. Manuel, vous le savez tous, était un homme passionné par la vie sociale, un homme inspiré, humble, animé d’un esprit qui le portait dans ses engagements.
Pas moins de cinq grandes qualités faisaient de lui une personne si attachante : sa convivialité, sa générosité, sa disponibilité, son enthousiasme pour les autres et peut-être aussi encore plus sa curiosité pour le monde. La perte soudaine de son père Gilles en 2000 l’a sans doute poussé à goûter l’instant, à habiter le temps avec plus d’intensité. Il conjuguait sa vie par tant de verbes qui donnent du sens. Il est vrai que le verbe dans une phrase est ce qui lui donne son sens. Alors pour Manuel donner du sens à la vie, c’était de démultiplier les verbes, « parler, rire, discuter, échanger, boire, manger, fêter, danser, chanter, blaguer… »

Son engagement professionnel sur les questions sociales, sur toutes les questions sociales forçait l’estime. Il répondait à la vulnérabilité qui angoisse les hommes par une incitation à la responsabilité pour cette vulnérabilité. Au fond, c’est en chaque personne, en chaque histoire, qu’il faisait l’expérience de la transcendance. Derrière les visages il voyait plus que les visages. Nous aussi dans son visage nous verrons plus que son visage. Voir intérieurement un visage comme nous essayons de le faire aujourd’hui est bien plus qu’un simple élan affectif, « c’est entendre un appel, celui que l’on entend seulement lorsque l’autre n’est plus ». C’est à l’heure de son départ qu’une soudaine lumière d’éternité fait comme effraction dans notre quotidien, nous rappelant que l’homme n’a pas ici de demeure définitive. Il semble fait pour un ailleurs auquel il aspire si souvent d’ailleurs, un « au-delà » que nos imaginaires conçoivent sans le réaliser complètement. Ni ce monde, ni nos corps ne nous sont complètement adaptés.

Heureux Manuel qui a compris que l’on ne peut pas être soi sans être pour l’autre,
car l’inattention à l’autre est la cause profonde de toute honte.
Heureux Manuel qui, en voyant le monde et ses peines, parvenait à entendre le message qu’il porte, à vouloir se battre pour que ce réel d’un monde malade résonne en chacun comme un appel.
Ne plus voir son visage aujourd’hui, malgré la peine, sera mieux l’entendre et lui dire merci. Merci pour tout ce que nous avons reçu de lui.

2/ Honorer Manuel c’est aussi accepter d’être mis au défi de comprendre ce que nous sommes vraiment. Sa mort soudaine nous met face à l’énigme : de l’idée que nous nous faisons de ce que nous sommes dépendra l’idée que nous nous faisons de ce qu’est la mort. Comment le sens de notre vie se trouverait-il dans la matière de nos corps seulement ? La matière de nos corps est impuissante à énoncer le dernier mot de notre vie si riche. Par son amour, comme je le disais en commençant « l’homme passe infiniment l’homme ». Au fond ce que rappelait Blaise Pascal, c’est que nous ne sommes pas ce que nous voyons que nous sommes, nous sommes beaucoup plus que cela. Cette part de notre personne échappe au regard et se donne seulement dans l’échange et la rencontre. La qualité de ce que nous vivons et partageons, la puissance de l’amour et de l’émerveillement, cette richesse de nos vies viennent bousculer le spectre de l’absurdité de la mort. La mort ne réduit en rien à néant tout ce que nous avons vécu, elle l’éternise.

Cette église est la promesse de la vie, elle témoigne que la mort n’est pas l’abolition définitive de la personne. Et si nous quittons ce corps, c’est seulement parce qu’il est sous-dimensionné par rapport à ce que nous sommes vraiment. Nous sommes faits pour la vie, une vie qui ne connait pas de mort, aussi devrons-nous, et telle est l’espérance des chrétiens, recevoir un corps sur lequel la mort n’aura pas de pouvoir. Ce corps-là, on ne peut se le donner à soi-même, quand bien même nous essayons de repousser techniquement les frontières de la mort. Ce corps sur lequel la mort n’aura pas de prise nous ne pourrons que le recevoir et c’est pourquoi nous prions pour que Manuel entre dans la vie et dans la foi de cette église qu’il reçoive son corps définitif, rayonnant, sur lequel ni la maladie ni la mort n’auront de prise. Et puis redisons-le simplement : ici en ce monde, personne ne reste car ce monde n’est pas un lieu où l’on reste mais un lieu où l’on passe. Et tandis que nous passons, quelque chose en nous se forme et nous transforme tout en nous préparant pour la vie qui vient car notre lieu, notre véritable lieu, est ailleurs, celui où l’on reste ensemble et pour toujours. Nous ne sommes pas des vivants qui allons vers la mort, nous sommes des mortels qui allons vers la Vie. Qui peut dire la fécondité réelle de l’amour qui est en nous, de l’amour que nous essayons d’exprimer et qui nous conduit à faire de notre vie un don pour les autres ? Ce qu’est l’homme, ce que contient chacune de nos personnes, qui peut dire cet extraordinaire puissance de vie qu’il y a caché en nous !

Je voudrais pour conclure, vous inviter à vous émerveiller de ce que Dieu veut pour chacun d’entre nous, comme un dépassement de cette vie présente. Je vous partage quelques lignes sur le sens de la foi chrétienne. « Croire en chrétien, c’est entendre qu’en Jésus, Dieu me dit : « je veux que tu vives toujours » ; et c’est encore accepter que Dieu agisse pour que cela soit vrai et aussi pour que cela soit juste et bon car il ne serait ni juste ni bon que je vive pour toujours, si dans ce « pour toujours » j’emporte avec moi ce qui m’habite de colère, de haine, de mesquinerie, de ressentiment, de peur, d’inquiétude, de méfiance. Mettre sa foi en Jésus c’est recevoir la promesse que par Lui, grâce à Lui, en Lui je vivrai pour toujours parce que Dieu le veut. Et je consens grâce à Lui et en Lui à ce qu’Il travaille en moi de l’intérieur, pour qu’il soit juste et bon que j’entre dans l’éternité. »

« Pourquoi suis-je né si ce n’est pour toujours ? » se demandait Eugène Ionesco. A quoi Léon Tolstoï avait répondu « la mort est le sacrement le plus solennel du monde ». « Je ne meurs pas j’entre dans la vie » disait encore la petite Thérèse-de-l’Enfant-Jésus. Alors prononçons dans le silence de nos cœurs son nom « Manuel », puisque nous le croyons, la vie dans laquelle Manuel entre, est une rencontre avec Celui qui le nomme et qui lui donne son nom. Si Manuel veut dire « Dieu avec nous », aujourd’hui nous pouvons dire que Manuel entend le nom que Dieu prononce, son nom et lui dit : « entre dans la vie mon enfant bien-aimé ».


Père Laurent Stalla-Bourdillon