« Déconfinées », les Églises ? Si les croyants ont retrouvé la possibilité de célébrer des cultes publics, la pratique religieuse reste cantonnée à une vision très horizontale, regrette le père Laurent Stalla-Bourdillon, directeur du Service pour les professionnels de l’information et enseignant au Collège des Bernardins.
La fin du confinement des cultes a mis en lumière ces Français de différentes confessions religieuses qui attendaient de pouvoir retourner soit dans leur église pour participer à la messe, soit à la mosquée ou à la synagogue pour la prière avec leur communauté. Il semble toutefois que « les cultes » restent en permanence confinés dans leur insignifiance, à tel point que le seul sens dont il a été question à propos des « cultes » fut celui de la circulation des fidèles dans les édifices religieux. Les grands médias généralistes n’ont parlé que gestes barrières, distances physiques, et bien sûr masques… Litanie d’un État qui impose son propre culte sanitaro-individualiste sans relief et privé d’humanisme. Incapacité de sortir de la considération extérieure des pratiques, de ce qui se voit, pour passer à ce qui se vit. Il semble impossible d’envisager que le rite ait un sens.
Pourtant, les faits répondent toujours d’un sens : si les cultes existent encore c’est parce que l’homme demeure en quête d’une autre dimension qui réponde à son désir profond. L’homme, selon le philosophe Alexandre Kojève, « ne peut pas s’identifier au monde qui l’entoure, il ne peut pas s’identifier à ce qu’il voit, il est autre chose » (Betty Rojtman, « Hegel à la lumière de Kojève »). Si notre époque moderne ne sort pas de son confinement mondial sans renaître à l’« au-delà », à la question décisive du sens, qu’aura-t-elle vécu ? Sans habiter la finalité de l’existence, que reste-t-il ?
Si notre époque moderne ne sort pas de son confinement mondial sans renaître à l’« au-delà », à la question décisive du sens, qu’aura-t-elle vécu ?
Quand nous évoquons l’après, ce futur immédiat mais encore incertain, nous parlons du monde de demain, du nouveau monde. Notre langage le plus courant est ainsi le signe que l’homme est dans sa nature même « un être en tension vers un au-delà », un « être plus » comme le disait Pierre Teilhard de Chardin. Il désire « autre chose qui ne soit pas une chose », son désir le porte vers un « objet » d’une autre nature, apte à satisfaire sa propre nature : un objet spirituel que nous appelons « l’esprit ». Rien de tangible ne peut être l’objet de ce désir. C’est le désir de l’homme qui est l’objet de son désir. C’est donc en esprit que l’homme trouvera sa joie ! Les cultes signifient, au bénéfice de toute la société, l’espace où se cultive le désir de l’infini que seule peut contenir une relation d’amour. Les cultes percent aussi le secret de notre « mort » comme le nom par lequel s’accomplit notre aspiration à vivre autrement et autre chose.
La fête chrétienne de la Pentecôte répond précisément à cette aspiration, que préparait la fête juive du même nom faisant mémoire du don par Dieu de la Loi de vie (Torah) aux fils d’Israël à travers son serviteur Moïse. Elle célèbre la capacité, restaurée en l’homme par son baptême, d’être conduit par l’Esprit-Saint, qui n’est pas moins que Dieu lui-même. Il établit le fidèle dans une relation de filiation à Dieu sur laquelle la mort n’a pas de pouvoir. C’est seulement par le don de l’Esprit-Saint que l’homme peut accéder à la connaissance de sa véritable filiation divine, totalement invisible et parfaitement insoupçonnée, qui le sort de la confusion aveugle avec le monde animal, et l’ouvre à la vie proprement humaine.
Ne voyons-nous pas que les chrétiens ont à offrir autre chose que du « religieux » version politique ou agrément médiatique ?
Un effort commun sera nécessaire pour sortir les religions de leur confinement strictement « horizontal et social ». Les règlementations posent des normes techniques indispensables à respecter pour la santé de tous, et surtout des personnes les plus fragiles, mais nous devons comprendre que les cultes échappent toujours à l’ordre politique. C’est si vrai, que le culte vient parfois nicher au cœur même du pouvoir. L’homme ne peut rien contre le divin qui l’habite, sinon en confesser la grandeur.
C’est à condition de rendre de la profondeur aux débats, aux questions essentielles, que l’on sortira les « cultes » des catégories règlementaires de santé publique dont on feint de se satisfaire pour en parler, en arguant de l’urgence du moment. Alors nous nous éviterons les jeux stériles du pur rapport de forces auxquels aiment s’adonner ceux, de quelque confession qu’ils soient, qui rêvent d’un nouvel ordre religieux. Certains esprits s’échauffent en se pensant libérateurs d’un catholicisme jugé trop confiné face à un islam et un monde évangélique décomplexés. Ne voyons-nous pas que les chrétiens ont à offrir autre chose que du « religieux » version politique ou agrément médiatique ? Il faudrait insister non sur le culte mais sur les réalités d’En-Haut, ce qui nous demeure caché et que nous ne découvrons qu’à la faveur d’un effort de pensée et de contemplation. Notre époque n’a pas tant besoin d’un retour de balancier du sécularisme vers un nouvel ordre religieux, mais de paroles et d’actes qui donnent de la saveur à la vie que nous avons en commun.