[Tribune] Dans la suite du synode, un vrai changement ecclésial ne pourra se faire que si l’institution révise d’abord son regard sur elle-même, souligne Laurent Stalla-Bourdillon, prêtre, enseignant au Collège des Bernardins et directeur du Service pour les professionnels de l’information.
Toute réforme d’une institution, quelle qu’elle soit, suppose un effort et un consentement à produire cet effort. S’il est possible à un corps d’être transformé par des forces extérieures qui influent sur ce corps, un corps animé (et non inerte) peut de lui-même opérer des transformations depuis l’intérieur. Le plus souvent ces transformations entraînent des adaptations permettant la survie du corps vivant dans un environnement lui-même nouveau.
Les objectifs du synode
Tous les vivants sont vivants par l’effet de leurs adaptations constantes à leur environnement. La vie – ici organique – apparaît ainsi dans la régulation des échanges entre l’intérieur et l’extérieur. Par exemple, notre corps régule constamment sa température. S’il ne le peut plus, parce que les températures extérieures excèdent sa capacité de régulation (trop froid ou trop chaud), il meurt. De même, un corps vivant totalement hermétique, qui ne laisserait rien pénétrer de l’extérieur, mourra aussi.
Avec la vaste réflexion initiée par le pape François, appelée le « synode », l’Église catholique est entrée dans une réflexion sur sa propre adaptation au monde nouveau qui naît sous nos yeux : un monde hypertechnique, économiquement interdépendant, une famille humaine de huit milliards de personnes confrontée au défi de son unité, un monde face à l’épuisement de ses ressources naturelles, un monde où les risques de conflictualité augmentent de jour en jour… Quel rôle l’Église catholique peut-elle et doit-elle jouer dans ce contexte ? Quelle réforme doit-elle entreprendre pour s’assurer que ce qu’elle doit faire, elle soit aussi en capacité de le faire ?
On peut aimer l’Église à partir de la manière dont nous nous figurons que Dieu la voit, et on peut aussi aimer l’Église à partir de la manière dont les hommes la voient. Dieu aime l’Église parce qu’il l’a voulue, mais cela ne canonise pas tout ce qu’elle fait. Si les hommes n’aiment pas l’Église – et la désaffection massive des Français doit interroger –, s’ils en éprouvent une forme de répulsion, cela peut soit venir d’eux parce que leur esprit est déçu, résigné ou malade, cela peut venir d’elle parce que son cœur est fermé et ses yeux aveuglés.
Ce qui empêche un système de se transformer, c’est la croyance limitante que s’il change il risque de disparaître. Il a besoin de prendre confiance en sa valeur intrinsèque pour oser changer dans l’inconnu. L’Église catholique doit donc se persuader qu’elle est d’abord servante, et qu’elle ne mourra pas à se réformer, si elle se laisse guider par l’Esprit saint.
Ainsi, la réforme de l’Église commence par l’effort de réformer sa propre manière de se voir et de se penser elle-même. C’est sans doute là un défi permanent pour toute organisation, mais plus encore pour l’Église, dont les dirigeants que sont les évêques se conçoivent à l’aune de leur doctrine de foi.
Parce que l’Église est une institution divine et non humaine, parce qu’elle dispose des paroles de Jésus et du pouvoir de Jésus, elle se trouve être détentrice des clés de la vie éternelle. Qui pourrait aujourd’hui lui ravir cette prérogative ? Personne ne s’y essaye, parce que personne n’y croit plus vraiment, même dans ses propres rangs. La résurrection des morts est clairement la chose la plus difficile à croire. Cela l’a toujours été, depuis le commencement de l’Église.
Revenir à l’écoute de l’Esprit saint
L’Église catholique oscille sans cesse entre deux tentations que sont l’affirmation de sa singularité doctrinale et sa dissolution dans un monde sans foi ni loi. Les turbulences que connaît le monde en ce XXIe siècle affectent l’Église d’une manière inédite dans sa mission. François suggère de revenir à l’écoute de l’Esprit saint qui conduit l’Église et conserve en elle la force de porter le témoignage du Ressuscité.
La gouvernance de l’Église s’est probablement affranchie du devoir d’écouter pour témoigner, allant jusqu’à confondre le mandat reçu et l’infaillibilité de ses pratiques. L’histoire a montré la portée tragique de cette confusion. Au mandat reçu doit s’adjoindre une écoute renouvelée des inspirations de l’Esprit saint, qui restaure en toute conscience humaine la joie d’être enfant de Dieu et d’accueillir la promesse d’une vie nouvelle et immortelle.
L’Église ne se transforme qu’à condition de reprendre son souffle, au souffle de l’Esprit saint. Telle est précisément l’intention du pape. Il veut réchauffer le cœur de l’Église de l’amour de Jésus pour le monde. Tel est le sens de sa dernière lettre apostolique sur la formation des laïcs à la liturgie, intitulée « J’ai désiré d’un grand désir » (Desiderio Desideravi).
Fidèle à sa mission, le pape entend aider l’Église, c’est-à-dire l’ensemble des baptisés, à s’interroger sur la manière dont elle incarne aussi la tendresse de Jésus, son accueil et sa capacité à consoler ceux qui souffrent de tous les maux dont la société les accable. C’est cette adaptation à ce nouvel environnement qui constitue la régulation des échanges avec son milieu de vie. Plus le monde souffre et plus l’Église doit se montrer consolante et source d’espérance. À cette condition, elle participe à la vivification de tout le corps social.
Un difficile retour d’expérience
Toute réforme commence par le regard. Le premier effort consiste donc à revoir la manière de se voir et de se penser soi-même. Penser contre soi-même est certainement l’exercice le plus difficile pour l’Église catholique, qui semble toujours satisfaite d’elle-même, quand bien même elle se trouve marginalisée socialement, décrédibilisée moralement et en phase avancée d’effacement. La difficulté à se réformer tient avant tout à la difficulté à opérer une simple analyse de pratique, un « retex » (retour d’expérience) ou encore un rapport d’étonnement, lorsqu’un évêque arrive dans un diocèse.
À titre d’illustration, depuis plus de 30 ans, tous les évêques voient inexorablement baisser le nombre de nouveaux prêtres en France et les réactions restent très timides à ce stade. C’est son propre modèle d’organisation paroissiale que l’Église se refuse à interroger. Il le faudra pourtant.
Ou encore, les nouvelles technologies opèrent une dissolution complète des frontières géographiques des diocèses, si bien que les informations circulent d’un bout à l’autre de la France, faisant de facto de la parole de tout évêque (pasteur d’un territoire donné) une parole engageant la totalité de l’Église en France, et des fidèles des « chrétiens de France » et non plus seulement des diocésains. Ce changement d’échelle appelle un positionnement nouveau, tant au plan médiatique que politique. Il tarde et les observateurs s’interrogent.
Il est donc nécessaire et possible d’anticiper, d’apprendre à penser contre soi-même, d’adopter le point de vue des autres et en particulier des points de vue les plus critiques. La terrible crise des abus l’a appris à ceux qui refusaient d’entrer dans le cœur des victimes et de comprendre leur drame personnel.
Opérer un déplacement mental, apprendre à regarder le monde et l’Église à partir du regard de nos contemporains est une source de richesse, au moins aussi nécessaire que de le regarder à partir de sa propre foi. La réforme de l’Église semble lente, trop lente, elle est néanmoins engagée. Les fruits du synode ne seront pas tant les transformations concrètes sur lesquelles beaucoup aiment gloser, mais sur la manière de se penser soi-même dans ce monde et au service du monde. Apprendre à se mettre à l’écoute de ce que l’Esprit dit à l’Église est un chemin de joie.