À travers la méconnaissance croissante de la Bible chez les Français, émerge une question lancinante, analyse le théologien Laurent Stalla-Bourdillon, celle d’être encore capable de montrer « l’inspiration divine du livre saint des juifs et des chrétiens ». Sans cela, la Bible est destinée à être renvoyée « au rang des mythologies anciennes ».
Une récente enquête soulignait l’effacement prononcé de la culture biblique dans notre pays. La Bible disparaît progressivement des mémoires collectives. On connaît de moins en moins la Bible et ce qu’elle contient, c’est-à-dire son message, parce que nous la lisons de moins en moins. L’éloignement de la Bible va de pair avec la baisse de la pratique religieuse en France. Seuls 4 % des Français lisent la Bible au moins une fois par mois, contre 7 % en 2010.
Nous peinons à comprendre sa signification et sans doute, avons-nous consciemment ou inconsciemment disqualifié sa pertinence dans notre modernité. Là où il n’y a rien à comprendre, quel besoin aurions-nous de connaître ? Or, comprendre la Bible suppose non seulement d’apprendre, mais exige encore un travail d’élaboration du sens. C’est ce travail de l’étude biblique (confessionnelle et non confessionnelle) que nous ne faisons plus assez aujourd’hui.
Hypermodernité
Cette mise à l’écart des textes religieux anciens tient à la fois de leur anachronisme à l’heure de l’hypermodernité d’un monde en mutation, notamment numérique, et de la sécularisation de la société. Le mouvement de laïcisation anticléricale a éloigné les masses de la Bible, avec l’idée que moins l’on connaît, moins l’on croit. La réduction de l’influence du christianisme par l’assèchement des connaissances a parfaitement fonctionné.
Les croyances ne disparaissent pas pour autant, elles sont seulement plus individuelles et émotionnelles. Elles sont moins capables de porter un projet de société basé sur la justice, l’amour, le pardon et le souci des pauvres. Tout ce que la Bible montrait de l’attitude bienveillante de Dieu à l’égard de l’humanité, la chargeant de répliquer dans sa vie cette même sollicitude à l’égard des pauvres et des malheureux, a disparu. L’espérance d’une vie dans la mort s’efface pareillement. En octobre 2018, nous mesurions que seuls 31 % des Français croyaient en une vie après la mort, contre 49 % qui n’y croient pas et 20 % qui ne se prononcent pas.
Un livre inspiré de Dieu ?
Aussi, il me semble utile de nous poser la question : de quoi la Bible est-elle le nom ? L’effacement de la culture biblique est la réponse implicite à une question omise : qui parle dans ce livre ? Autrement dit, oui ou non, la Bible est-elle selon vous un livre inspiré de Dieu ? C’est-à-dire un livre contenant et communiquant la Sagesse divine. Cette Sagesse est-elle, oui ou non, nécessaire à l’existence humaine ? C’est en effet l’inspiration divine qui fait la valeur du livre, au sens où il devient possible de prendre une position de doute, de rejet ou d’adhésion et d’écoute de la promesse biblique : l’être humain est en ce monde encore en devenir. Et là où la mort semble sceller le terme de la vie, la Bible enseigne que la mort est une naissance à la vie véritable.
C’est parce que nous ne savons plus expliquer l’inspiration divine du livre saint des juifs et des chrétiens qu’il est peu à peu renvoyé au rang des mythologies anciennes. L’inspiration divine de la Bible est mise en doute quand elle n’est pas simplement ignorée. Au-delà de la modalité d’inspiration, c’est plus encore la question du contenu biblique qui fait question. Oui ou non, la Bible peut-elle être une ressource crédible pour comprendre l’origine du monde, le mal et la mort, et enfin l’issue de l’existence, sa signification ultime ? Au fond, oui ou non, la Bible peut-elle nous enseigner sans erreur et de façon définitive ce qu’est la nature humaine ? Tel est bien son objet de fond.
Les anthropologues s’évertuent à comprendre ce qu’est l’humanité à travers l’étude des formes d’organisations sociales, les scientifiques scrutent la vie neuronale et les confins de l’univers, mais personne ne parvient à énoncer la vérité définitive sur la nature humaine. Chacun étant lui-même une part de l’immense organisme vivant qui le dépasse, il est impossible que l’homme détermine par lui-même la vérité dernière sur ce dont il n’est pas lui-même à l’origine. En toute logique, il ne peut que la recevoir ! Or, c’est précisément cette réception, et la possibilité même d’une inspiration divine qui est aujourd’hui la grande et grave question spirituelle de notre temps.