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« L’architecture technologique numérique n’est qu’une facette de la tentative d’opérer un contrôle total des individus »

Lorsqu’un ballon chinois survole le territoire américain et qu’il est détruit, il est aisé de comprendre à travers cet épisode anecdotique, que l’humanité est entrée dans une période de son histoire où elle fait face à l’étroitesse et aux limites. L’amplitude du monde s’est rétractée à la taille d’un village planétaire, puis à celle d’une maison commune qui brûle, et à présent à l’espace de la chambre individuelle menacée par l’observation permanente du voisin si proche...

Étroitesse de l’espace terrestre où vivent 8 milliards de personnes, et limites des ressources, résistances aux partages, divergences des visions du monde et de l’histoire elle-même : comment vivre ensemble ?
Nous sommes entrés dans l’ère des contraintes après avoir voulu croire à l’ère des possibles, de tous les possibles. La modernité a semé dans les esprits, le germe du dépassement et de la toute-puissance de l’humanité sur son environnement, sur les personnes, sur les esprits et les corps. Elle se heurte cependant à l’impossible maitrise des libertés humaines. Toute l’architecture technologique numérique n’est qu’une facette de l’ultime tentative d’opérer un contrôle total des individus et de leurs pensées. La contrainte naturelle du monde réel se double de la contrainte technique du monde virtuel. Il s’en suit un profond sentiment d’asphyxie dans les sociétés qui ne respirent plus. L’enfermement dans les limites du monde et l’enfermement par la camisole technologique va inévitablement produire un effondrement et une déflagration. Effondrement psychique d’une part et déflagration physique d’autre part.

L’effondrement psychique vient de la perte de la conscience de soi. Etre soi suppose d’être pour. Or, nous ne savons plus pour quoi, ni même pour qui nous vivons. Les sociétés marquées par la religion chrétienne savaient et enseignaient que l’on vivait pour accomplir son existence en devenir, et que l’on vivait pour Dieu en s’inscrivant dans le jeu des relations sociales empruntes de dévouement et de don de soi. Chacun s’y essayait conscient que le meilleur de chacun est toujours à venir. Le vocabulaire chrétien parlait de sanctification. La perspective s’est évanouie avec le passage d’une amélioration intérieure (celle de l’âme) à l’amélioration extérieure (celle de la vie sociale). Le XXème siècle a été un siècle de projection à l’extérieur de soi, d’une colonisation des espaces pour y déployer des activités, des productions. La question du sens ultime et plus profond de l’existence avait perdu de sa pertinence. C’est sur ce fond d’absence de vie intérieure que la crise actuelle nous saisit.

La déflagration physique est rendue inévitable du fait du manque de ressorts spirituels internes qui servent normalement de garde-fous. Les moyens techniques développés depuis 1950 tant dans le domaine des sciences médicales, de l’industrie, de l’énergie et maintenant des nouvelles technologies numériques, peuvent entraîner des perturbations massives et rapides dans tous ces domaines à l’échelle de la planète. L’incapacité des Etats à hisser leurs peuples à la conscience d’une nouvelle fraternité seule capable de préserver l’unité de la famille humaine est l’ultime défaillance qui nourrit l’inimitié plutôt que l’amitié entre les nations. Les incertitudes couplées à l’ignorance nourrissent les peurs qui génèrent elles-mêmes de la violence. La déflagration a déjà été celle de la pandémie de coronavirus, à laquelle succède une nouvelle course aux armements, sans parler de l’instabilité des systèmes financiers. Les causes de potentielles conflictualités ont atteint un nombre si important de domaines et essaimé en tant d’endroits du monde, que le moindre mouvement de l’un peut entrainer tous les autres en cascade. Ce monde n’est donc vivable pour les hommes que parce qu’ils le rendent eux-mêmes humain. Ce monde est respirable pour l’humanité à condition qu’elle sache y trouver sa source d’inspiration : l’amour. Ce monde n’est humain qu’à raison de l’amour qu’on y engage. Si l’humanité ne se reconnaît pas la mission de faire paraître l’amour sur la terre, elle se perd dans des conquêtes stérilisantes. Elle semble ne pas encore en avoir pris la mesure et la nécessité pour sa propre survie. Elle se plait dans ses conquêtes, ses découvertes et ses inventions époustouflantes. Mais elle est en train de s’essouffler et de perdre goût à l’existence. La saveur de la vie se trouve ailleurs.

Les dirigeants internationaux n’ont pas encore vu à quel point le Pape François en publiant la lettre « Tous Frères » (Fratelli tutti) a une très vive conscience du défi que l’humanité doit relever en ce XXIème siècle : le défi de son unité. Pour préserver la paix à l’ère de l’étroitesse, il faut avoir discerné dans l’autre qui est soudainement tout proche (songeons aux migrants) un frère ou une sœur, et pour assurer le développement des peuples à l’ère des limites, il faut avoir dépassé l’horizon de sa seule existence et avoir intégré les conditions d’existence des autres. Autrement dit, il faut avoir intégré ce fait que « le tout est supérieur à la somme des parties ». L’humanité ne doit pas abdiquer l’ambition de réaliser un monde de paix.

A ce stade de notre histoire, aucune voix ne se fait entendre pour appeler à un réveil des consciences sur la fraternité. Même la cause écologique n’emporte pas de véritable assentiment, signe du primat des intérêts individuels. Nous entendons bien davantage le vrombissement d’une économie se nourrissant des technologies de la guerre, dans une logique de rivalité et de domination. Nous voyons des institutions internationales piétinées et impuissantes. Si le pire n’est jamais certain et le meilleur reste toujours possible, il ne survient pas par l’effet du hasard, mais par un effort constant de penser, de discerner là où se trouve le bien et la manière de l’accomplir. Ainsi, l’ère de l’étroitesse et des limites appelle un saut qualitatif dans la pensée des leaders, un sursaut spirituel des peuples, un sursaut dans la conscience de chaque personne, seul capable de rendre à la vie du monde la clé de son unité : la fraternité.


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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