Le recours politique aux outils numériques peut avoir les meilleures intentions du monde, il demeure que l’outil technologique est par nature un outil de mesure et de contrôle.
L’allocution du président de la République, le 12 juillet 2021, annonçant des avancées dans l’ordre de l’obligation vaccinale pour les soignants et certaines autres professions, marquera sans doute un tournant dans l’exercice du pouvoir. Bien que dûment vacciné moi-même (deux doses de Moderna), j’observe que nous assistons à une forme de dérive autoritaire des États sous l’influence des technologies du numérique. Cette tendance n’est pas sans interroger, sinon sans inquiéter. L’exercice du pouvoir trouve dans les nouveaux outils numériques une stupéfiante puissance de contrôle et de surveillance des populations. Il s’agit ici en l’occurrence de générer un « pass sanitaire » permettant la reprise d’une vie « normale ». Plus tout à fait si « normale », puisqu’une vie désormais sous contrôle accru. Invoquant la protection des populations, l’outil se retourne comme moyen d’observation. Même indirectement, il permettra de suivre son opposition, de réduire ou de neutraliser sa contestation. Il était déjà question de « sanctions » dans cette allocution à la tonalité anormalement martiale.
Le libéralisme de surveillance
Emmanuel Macron a fait plus que poser un acte d’autorité pour proposer une vie « sous Covid », il a fait entrer la France dans l’ère d’un nouveau et paradoxal libéralisme : le libéralisme de surveillance. Il libère ainsi les États d’un interdit capital, celui d’une surveillance de masse des populations. Massive voulant dire individuelle. Si le Président décide de ce qui sera légal, il appartient aux citoyens de penser à ce qui est légitime. Les prochaines échéances électorales gagneront à investir ces sujets.
Entre le bénéfice de la vaccination à court terme et son obligation légale sous peine d’exclusion sociale, la voix déjà ténue de la conscience s’est définitivement tue.
Tel un coming-out, le Président dévoile la face cachée de tout pouvoir. Il nous a fait entrer dans l’ère de la gouvernance par le contrôle. L’exigence de la vaccination biologique est le prétexte au contrôle numérique. Les individus sont désormais tracés et codés dans un « QRcode ». Ce recours à l’autorité pour obtenir la vaccination et soumettre la population montrera bientôt que le bénéfice de protection biologique individuelle n’emportera pas un avantage réel d’éthique sociale pour un monde commun. Au contraire. Il y aura bientôt une antinomie de fond entre le numérique et la liberté, de même qu’il y a déjà une antinomie entre le numérique et l’égalité. C’est ainsi qu’apparaît l’antinomie entre le numérique et la fraternité. Le recours politique aux outils numériques peut avoir les meilleures intentions du monde, il demeure que l’outil technologique est par nature un outil de mesure et de contrôle. La sphère économique s’empare des mesures (datas) et les transforme en argent, c’est la « data économie », tandis que la sphère politique accroît son pouvoir par les capacités de surveillance et de contrôle.
Éliminer les consciences ?
Il est toujours très difficile pour les pouvoirs en place et pour leurs dirigeants de résister aux atouts de contrôle, et cela même s’ils ne sont en aucune manière, subjectivement, des dictateurs. Le numérique combine les atouts majeurs, de l’apparence de l’invisible surveillance et de l’infaillible traçage. Tout voir sans être vu. Ainsi, le recours à la force de l’autorité contient en elle-même la preuve de la faiblesse de l’autorité. La liberté, la responsabilité de chacun et l’effort de conviction sont tenus pour trop incertains ou négligeables face à l’autorité du pouvoir, qui entend désormais, contrôler et gouverner par une régulation technique au moyen des outils numériques.
Le dernier mot revient au fatum [« destin », Ndlr], par lequel chacun se dédouane à bas prix. « Il n’y a pas d’autres choix…, c’est ça ou… » La fatalité endosse alors l’ultime responsabilité de la corruption de la vie sociale. Entre le bénéfice de la vaccination à court terme et son obligation légale sous peine d’exclusion sociale, la voix déjà ténue de la conscience s’est définitivement tue. C’est bien la conscience qui semble l’ennemi à contrôler, puisque c’est d’elle seule que vient le meilleur et que s’évite le pire. Il faut donc rendre aux Français la liberté de conscience, et la mobiliser plus que jamais pour que la France demeure la nation dont le cœur bat des pulsations de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.