Laurent Stalla-Bourdillon est Directeur du Service pour les Professionnels de l’Information. Il enseigne par ailleurs au Collège des Bernardins.
FIGAROVOX. - Alors qu’en France les fidèles qui le souhaitent pourront finalement assister à la messe de Noël, on apprend qu’en Belgique le Conseil d’État a finalement refusé de revenir sur l’interdiction décrétée par le gouvernement. Que vous inspirent ces nombreux chrétiens qui, en divers endroits du monde, seront privés de la célébration de Noël demain soir ?
Père Laurent STALLA-BOURDILLON. - J’éprouve une certaine forme de stupeur. Jusqu’où les restrictions de liberté vont-elles aller ? L’importance de la dimension spirituelle et culturelle de l’existence semble terriblement ignorée, et je m’en désole. Les interdictions imposées par les autorités publique sont trop rarement accompagnées par des paroles à même de rendre vigueur et confiance.
L’État ne se grandit jamais lorsqu’il prive des moyens de nourrir la vie des gens. Notre époque semble devenue incapable de penser l’humain au-delà de sa matérialité. Je ne doute pas que les fidèles privées de messe de Noël sauront retourner cette privation en offrande, car c’est au fond pour le bien supérieur de l’unité qu’ils y apportent un consentement.
« Dans la nuit a surgi une lumière », et d’ailleurs les jours commencent déjà à se rallonger. Mais alors que la pandémie ne faiblit pas et qu’on prédit une nouvelle vague après les fêtes, quel message d’espoir peut-on attendre de Noël ?
La joie de Noël vient de la naissance de Jésus. Or pour entrer dans cette joie, il faut nécessairement nous remettre devant la question de son identité. Qui est-il ? Il est celui en qui et par qui, la signification véritable de notre nature humaine est restituée à toute l’humanité. L’humanité n’a plus idée qu’elle porte une capacité insoupçonnée de vie plus ample, une union à une vie divine.
À Noël, l’humanité n’est plus livrée à la solitude. Dans ce tout-petit qui vient de naître se trouve la puissance infinie de l’amour. Avec lui, l’horizon de nos existences s’ouvre sur une perspective proprement inimaginable. Ce Noël sera pour beaucoup l’occasion de retrouver le sens de l’intériorité. Moins nous maitrisons les aléas de la vie du monde et plus nous devons reprendre en main le gouvernail intérieur et déterminer le vrai cap de nos existences.
Chaque Noël fait retentir la certitude que chaque personne est porteuse d’un trésor intérieur inestimable. La venue de Jésus dans la fragile condition mortelle rappelle aux chrétiens que leur vie se déploie d’abord dans leurs relations d’affections, de tendresse et de pardon.
Quelques polémiques sont apparues à propos du fait qu’on sauve Noël mais pas le jour de l’an, c’est-à-dire que l’on fasse primer les réjouissances familiales sur les liens amicaux. Pour beaucoup, la famille n’est plus la « cellule de base des sociétés humaines » comme continue pourtant de l’enseigner l’Église. Que leur répondez-vous ?
J’ignore les considérations qui ont présidé à ce choix. Au-delà des considérations sanitaires, Noël est le temps des cadeaux, nous le savons tous. Nous avons assurément besoin de nous communiquer l’affection que nous nous portons. Le langage symbolique de la fête de Noël est de nature à donner du réconfort. Il n’évacue pas malgré tout le douloureux paradoxe d’autoriser des réunions familiales tout en restreignant la présence des membres de la famille.
Ces polémiques ont-elles lieu d’être ? Pourquoi existe-t-il une sorte d’aversion pour « la famille » dans la société ? L’Église n’impose pas un modèle, elle recueille une réalité à la fois simple et commune. Ce donné naturel n’est pas sans importance ni sans signification pour tous. L’Église vise surtout le rappel de la filiation divine de l’homme. Elle relaie une promesse pour tous.
Mais surtout, ces deux grands moments des « fêtes de fin d’année », Noël et le 31 décembre n’ont pas la même résonnance. L’un ressort d’un calendrier civil et marque la fin d’un temps cyclique et le début du nouvel An, tandis que Noël participe d’un temps fléché. Noël fait écho pour tout le monde, croyant ou pas, à l’heure de sa propre naissance en ce monde et aussi à « celle » qui vient : notre mort, si tant est que la mort puisse être aussi une naissance.
Cela ressort bien sûr de la croyance de chacun. Noël annonce ainsi la fête de Pâques, autrement dit l’accomplissement définitif de cette vie. Dans le contexte de crise que nous traversons, il faut viser un terme bienheureux et non le retour cyclique des épidémies qu’on nous annonce déjà.
Quels enseignements l’Église peut-elle tirer de cette année 2020 ?
Le premier, c’est l’imprévisibilité des évènements et le besoin de chercher ce qui seul est vraiment sûr. Notre fragilité est une marque de fabrique, pas un défaut de fabrication. Les tentations sont immenses de transformer et de sécuriser le cadre extérieur de nos vies, jusqu’à nos corps, au lieu de fortifier les âmes de l’intérieur.
Le second, c’est le rappel très fort de l’unité de la famille humaine. La pandémie touche tous les pays, et se répand dans toute la « maison commune ». Personne ne se sauvera tout seul des effets de la pandémie. Si des petites fractures qui existaient dans le paysage social, elles se seront accrues. Il faut toujours réparer ce qui peut l’être avant qu’un évènement ne vienne rendre la tâche plus difficile.
Le troisième, c’est le défi d’une collaboration plus intense à tous les niveaux : depuis les nouveaux réseaux de solidarité localement, jusqu’à la coopération des chefs d’État dans les instances internationales. Cela suppose que chacun soit capable de transcender son propre groupe d’appartenance pour s’élever au niveau d’un commun. C’est possible si nous nous y encourageons tous.
Enfin le quatrième enseignement porte plus spécifiquement sur la réponse de l’Église : elle doit œuvrer à restaurer partout des liens de confiance et de fraternité. Le Pape François n’a pas peur d’affirmer sa singularité dans sa solidarité. La fidélité au message de Noël, c’est d’être une source de consolation pour tous ceux que la pandémie éprouve.