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Accueillir notre mort comme un événement spirituel

Après le pic de la pandémie, la relance économique s’impose mais la santé biologique demeure érigée en valeur suprême. Ce mythe de la santé pour tous entraîne le silence sur l’inéluctable vérité de la mort, et sa finalité spirituelle.

Bien que paradoxal, il est très difficile d’accepter le fait pourtant le plus certain de la vie : notre mort. Face à la pandémie mondiale, les États développent des stratégies de défense très semblables. Craignant les décès et les mouvements d’opinion, les gouvernants (se) protègent en misant sur un arsenal sanitaire censé prévenir les contaminations et préserver leur système de santé. Si la relance économique s’impose, il demeure que la santé du corps est bien érigée en valeur suprême. Elle est le nouveau capital humain surclassant la richesse des siècles passés : la foi en la vie éternelle. La santé s’est imposée comme une fin et non un moyen d’accomplissement de l’existence. Reconnaissons qu’elle est l’idole de notre époque et qu’elle nous gouverne.

La mort inéluctable

Or même une santé très dégradée ne remet pas en cause la possibilité de l’accomplissement de soi, car la vie est beaucoup plus que la santé du corps. Ce ne sont jamais les seules dispositions physiques qui déterminent la beauté ou la grandeur d’une personne, mais ses dispositions spirituelles, invisibles au regard. La santé pour tous est une tromperie politique, visant à masquer l’inéluctable vérité de la mort de chacun.

Faut-il penser la mort comme la finitude de l’existence, ou au contraire comme le moyen de réfléchir à son essence profonde ? Les capacités spirituelles sont aliénées à des mesures techniques au lieu de nourrir des récits et des paroles.

Nous sommes devenus des humains réduits à nos corps, eux-mêmes réduits à des objets de production dont seules comptent la qualité et l’utilité.

En matière d’humanité, seul le verbe est source de vie. Après des années de déni de la dimension spécifique de la nature humaine, notre époque semble piégée par son indigence spirituelle. Nous sommes devenus des humains réduits à nos corps, eux-mêmes réduits à des objets de production dont seules comptent la qualité et l’utilité. Le Covid-19 a donc révélé les effets de cette réduction de l’homme à sa survie biologique, ignorant sa vie psychologique et spirituelle, ignorant la nécessité de son passage par la mort et de son relèvement en vue de son accomplissement.

Une existence sans finalité

C’est ainsi que nous voyons des États et des gouvernants n’exprimant aucune conscience de la dynamique de l’existence humaine. Une existence sans finalité propre, sans conscience de ce qui peut l’accomplir. La conception patrimoniale de la vie consiste à préserver l’existant et non pas devenir. « Être vivant » est pourtant toujours « être en devenir ».

L’enjeu de cette vie n’est pas de ne pas mourir, mais de ne pas mourir vide de sens et de confiance.

La vie n’est jamais quelque chose que l’on possède, mais seulement que l’on reçoit. Notre Modernité a éliminé toute conscience d’un devenir qui assume la condition mortelle de l’humanité. Il ne devrait pas être seulement question de dire aux gens que l’État va les empêcher d’être malades et de mourir, mais d’aider chacun à savoir qu’il devra mourir un jour et qu’il ne faut pas mourir vide, mais plein d’une espérance parce que la vie humaine est bien plus que la seule vie du corps biologique. L’enjeu de cette vie n’est pas de ne pas mourir, mais de ne pas mourir vide de sens et de confiance.

La vie véritable

Il faudrait de toute urgence retrouver le sens des priorités car on se défausse de l’urgence de penser et de grandir sur l’urgence de faire et de contenir. Entre obligations et interdictions, l’opinion est enfermée dans des injonctions moralisantes au lieu d’éveiller les esprits à ce qui est en jeu dans une vie mortelle. Ce n’est pas l’homme qui ne meurt jamais qui est immortel, c’est celui qui, ayant conçu la vie véritable, l’emporte dans sa mort. C’est donc maintenant qu’il convient de se remplir de vie, de la Parole de Vie. En effet, la vie spécifiquement humaine se dévoile dans le « verbe », la « parole » qui enveloppe de signification toutes les réalités qui nous environnent jusqu’à notre corps même.

L’art de mourir

Quel sens donnons-nous à la vie ? Dans l’Antiquité, on utilisait le terme ars vivendi, l’art de vivre et indissociablement l’ars moriendi ou l’art de mourir. Sommes-nous prêts à mettre en place un ars moriendi et à donner à nouveau un sens à la vie et à la mort ?

Nous ne retournerons la présence de la Covid-19 à notre avantage que si nous parvenons à mieux saisir ce qui fait la beauté de cette vie, fut-elle mortelle.

Nous ne retournerons la présence du Covid-19 à notre avantage que si nous parvenons à mieux saisir ce qui fait la beauté de cette vie, fut-elle mortelle. Cessons de nous croire immortels, comme si la mort ne nous concernait que de façon accidentelle, imprévue, sous-entendu que nous saurions nous en préserver. La mort a été chassée de nos pensées, de nos imaginaires. Or tout petit, l’homme à sa naissance entre dans une communauté de mortels. Il est lui-même déjà assez vieux pour mourir.

Un événement spirituel

Nous avons confondu mortalité et morbidité si bien qu’un interdit s’est imposé qui nous prive de penser la mort en elle-même, en tant qu’événement spirituel et non seulement biologique. Envisager le terme de l’existence, c’est être non pas morbide mais lucide. Ce qui compte en effet, ce n’est pas que nous échappions à la mort (croyance tellement répandue), ce sont les pensées avec lesquelles la mort va nous trouver, avec lesquelles nous allons la rencontrer et l’affronter.

Il faut bien comprendre que nous ne serions pas forts contre la mort, parce que nous aurions acquis un corps invulnérable, mais parce que nous aurions conçu une vie sur laquelle la mort n’a pas de prise, parce qu’elle est relation constante avec la source de la vie. Il y a beaucoup plus en chaque personne humaine qu’un corps organique, il y a une capacité de concevoir, de former en soi une relation capable d’engloutir et de dépasser la mort. C’est précisément la mission spécifique de l’Église d’annoncer à tous les mortels que nous sommes, qu’ils sont en route vers la vie.


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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