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« 2024, l’année du sursaut spirituel ? »

Le théologien Laurent Stalla-Bourdillon regrette que les religions soient devenues davantage des marqueurs identitaires que de véritables ressources spirituelles. Il défend pourtant l’importance de la réflexion sur la religion et la foi dans un monde en souffrance.

Redoutées par les uns, choyées par les autres, prises dans les turbulences du monde, les religions seront-elles en 2024 un agent d’unité ou un nouveau facteur de divisions ? Notre modernité n’a vaincu ni le besoin de croire, ni celui de donner du sens à l’existence. Même les intelligences artificielles génératives sont entraînées sur les sujets religieux et répondent à toutes sortes de questions. Mais les IA n’ont ni vie, ni esprit. Elles ne peuvent rien pour ce que chacun doit accomplir dans sa propre vie sans pouvoir le déléguer à quiconque.

D’un point de vue anthropologique, les religions traduisent cette part d’inconnu dans l’existence, qu’aucune pensée humaine ne saurait expliquer. Elles sont le rappel constant que « l’homme passe infiniment l’homme », comme le disait Blaise Pascal. L’idée de « Dieu » affirme la permanence d’un inconnaissable pour les créatures intelligentes que nous sommes. Cette ignorance apparaît souvent comme une tare insupportable et humiliante.

Si au XXe siècle la tentative d’éliminer Dieu de l’horizon de la pensée a permis de se penser autoréférent, l’élimination de la soif de sens – de la quête de transcendance – semble la tentative du XXIe siècle : rendre l’être humain parfaitement transparent à lui-même et le faire renoncer à la quête de cette vérité qui le dépasse. Seul un émerveillement assume ce dépassement.

Délivrer les religions de leurs contrefaçons

D’un point de vue politique, les religions participent à la gouvernance des peuples. Des régimes autocratiques le savent, qui trouvent dans la religion un adjuvant très puissant à leur politique. Hélas, bien des conflits ont des prétextes religieux, justifiant la volonté de domination. Invoquer la volonté du ciel pour l’imposer produit souvent le chaos sur la terre. Dès lors, bon nombre de nos contemporains voient dans les religions des fléaux et des causes de guerre. Ils s’en détournent avec raison. Délivrer les religions de leurs contrefaçons demeure une tâche jamais achevée. Renoncer aux religions ne rend pas plus fort pour autant, mais plus fragile au contraire tant la foi convoque la raison, et la raison stimule la foi.

Depuis plusieurs années, nous voyons que la mondialisation économique et technologique ne suscite pas une humanité plus unie. Les technologies rapprochent mais ne rendent pas frères. Qui pourra aider l’humanité à penser son unité ? Cette voie vers l’unité est seule en mesure de libérer l’humanité de l’absurdité de ses guerres. Le pape François exhorte sans relâche à découvrir dans l’amitié et la fraternité la réponse à cette « troisième guerre mondiale en morceaux ». L’humanité est clairement au défi de son unité, et doit impérativement en découvrir la clé afin que les tragédies de son histoire ne se répètent pas. C’est notre vœu le plus cher pour 2024 !

Des marqueurs identitaires

Les appartenances religieuses sont devenues des marqueurs identitaires plus que des ressources intellectuelles et spirituelles. Loin de leur fonction de relier et d’unifier par la quête et l’écoute de la vérité, elles servent politiquement de force excluante. En Russie, en Inde, en Turquie, en Chine, le référentiel religieux dope les discours nationalistes et patriotiques. On ne sauvera pas les religions en les abandonnant à ceux qui les corrompent, ni en se réfugiant dans de nouvelles spiritualités individuelles et sans cadre institutionnel.

Face à de nouvelles tyrannies politico-religieuses, l’effort commun doit porter sur la vérité de la nature humaine. Les sciences ont réalisé d’immenses progrès dans l’ordre des connaissances sur le vivant. Les religions doivent s’en inspirer afin de contempler la sagesse qui en est le principe. Cette sagesse a, pour les chrétiens, le visage de Jésus, le visage de l’amour du Christ. L’effacement du christianisme en Europe le soustrait paradoxalement et providentiellement au jeu des rapports de force. Il n’est pas – et ne doit plus chercher à être – une religion de domination, mais de service. S’il entrait dans le jeu mimétique des conquérants, il se dénaturerait complètement.

Or, son véritable progrès l’a conduit à honorer par-dessus tout les consciences, gageant qu’elles sont le lieu de la manifestation de Dieu à sa créature humaine. Le christianisme n’a pas un triomphe comme objectif mais la manifestation de la vérité qui se dévoile par la seule force de la vérité elle-même. Les chrétiens n’ont que l’amour comme langue universelle pour transformer ce monde et le rendre respirable. « Le chrétien, ce n’est pas celui qui n’est pas musulman, qui n’est pas juif, shintoïste, hindouiste… Le chrétien est celui qui n’est qu’un amour, en lequel vit l’amour et n’aborde les autres que comme amour, en suscitant en eux un nouvel amour. » Pour un chrétien, expliquait encore Maurice Zundel (1897-1975), « le bien, ce n’est pas quelque chose à faire, mais quelqu’un à aimer ».

Renforcer l’impératif chrétien

Les tensions religieuses que l’on observe dans le monde ne font que renforcer l’impératif chrétien. L’impératif de dénoncer les contrefaçons politiques des religions. Les chrétiens ne doivent pas tant chercher à conquérir qu’à accomplir leur humanité, encore largement inachevée. C’est vers l’unité de l’unique famille humaine que le christianisme se propose de tendre de toutes ses forces. L’humanité ne peut s’autodélivrer du mal qui la ronge. Elle ne peut créer une humanité nouvelle ni techniquement, ni ethniquement, ni religieusement. Elle doit se laisser aimer et se découvrir à partir d’un regard qui ne vient pas d’elle : le regard du Christ.

L’Europe, qui a vu le christianisme donner ses plus beaux fruits, doit à présent retrouver des maîtres spirituels qui vivent dans la lumière de ce regard. L’Europe, nous le voyons bien à l’heure de dire adieu à Jacques Delors, cherche confusément à témoigner de cette unité, qu’elle a reçue dans le Christ. L’Europe, avec la France et les nations qui la composent, porte au bénéfice de tous la conscience qu’une capacité universelle d’aimer a été déposée en tout être humain. Cette attitude d’ouverture sur l’au-delà de soi peut vaincre la détresse de vivre dans un monde fermé. Elle est le plus beau et le plus urgent service que les religions peuvent relever ensemble.

Que cette nouvelle année 2024, qui verra les élections européennes, la réouverture de Notre-Dame de Paris et la préparation du Jubilé de 2025, soit une année où triomphent la paix et l’unité, qu’elle soit donc l’année d’un grand sursaut spirituel !


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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