ENTRETIEN. Y a-t-il une vie après la mort ? Oui, répond le prêtre catholique Laurent Stalla-Bourdillon. C’est justement le sens de la Toussaint, comme le rappelle avec profondeur ce théologien.
Propos recueillis par Jérôme Cordelier
Le père Laurent Stalla-Bourdillon est l’un des théologiens catholiques les plus affûtés du moment. Ancien aumônier des parlementaires, il est aujourd’hui directeur du Service pour les professionnels de l’information, au sein du diocèse de Paris. Il a donné récemment une série de conférences sur notre rapport à la mort qui a attiré du monde au Collège des Bernardins, où il enseigne depuis quinze ans. Il vient de publier le fruit de ses réflexions dans un petit livre stimulant, paru aux éditions Desclée de Brouwer, La mort n’est pas ce que vous croyez. Nous lui avons demandé de nous éclairer sur le sens chrétien de la Toussaint.
Le Point : Que signifie la Toussaint pour les chrétiens ?
Père Laurent Stalla-Bourdillon : C’est une fête liturgique qui permet aux fidèles chrétiens de se réjouir pour celles et ceux qui nous précèdent dans l’éternité de Dieu, c’est-à-dire celles et ceux qui, pour nous, sont entrés dans la plénitude de la vie. Ce qui sous-entend en passant que nous sommes tous en chemin vers cette plénitude. À la Toussaint, les chrétiens célèbrent l’action de la grâce divine dans le cœur de ces personnes. Elles sont toutes célébrées en même temps, car elles représentent une multitude qu’il ne nous est pas possible de dénombrer.
Nous suivons un calendrier qui, chaque jour, célèbre un ou plusieurs saints, et le 1ᵉʳ novembre, nous célébrons tous ceux que nous ne nommons pas habituellement, mais dont nous savons et nous croyons qu’ils vivent désormais dans la lumière de Dieu et, surtout, qu’ils intercèdent pour nous auprès de Lui.
Le 2 novembre, l’Église prie pour tous les défunts qui sont en route vers l’éternité
Tout le monde pense qu’à la Toussaint, nous fêtons les morts. Et vous, vous parlez de fête de la vie ?
Cette confusion s’est installée dans le paysage parce que la commémoration des défunts a lieu le 2 novembre, à savoir le lendemain. Comme le jour de la Toussaint est férié, les gens s’en servent pour aller au cimetière ; par association, il est ainsi devenu le moment où l’on fête les morts. En fait, nous fêtons effectivement des morts, mais des morts qui sont vivants dans l’éternité bienheureuse. Le 2 novembre, l’Église prie pour tous les défunts qui sont en route vers l’éternité, parce qu’on ne présume pas qu’on entre immédiatement dans la vision de Dieu et la béatitude.
En tant que prêtre catholique, êtes-vous dépité qu’Halloween soit aujourd’hui plus populaire que la Toussaint ?
Halloween ne ressort d’aucune des traditions qui existent chez nous, en France et en Europe. Cette fête présente la faculté d’aller explorer les domaines de l’inconnu, du mystérieux, c’est-à-dire précisément de l’au-delà, de la mort, de la vie des esprits. Il y a toute une coloration un peu funèbre, voire macabre, qui entoure cette célébration mais, hélas, elle n’a de consistance que commerciale.
Est-il difficile de parler de la mort aujourd’hui quand on est prêtre ?
La mort apparaît pour nos contemporains comme la négation de ce qu’est la vie organique. La mort vient sanctionner la vie corporelle, détruire et installer l’abolition définitive de la personne. Le problème est que notre société ne sait plus faire droit à la vie spirituelle, à la vie intérieure et à ce qui, jadis, relevait de l’évidence. Aujourd’hui, on doit prouver ce qui ne meurt pas dans l’individu. Nous, chrétiens, croyons à la permanence d’une instance spirituelle dans l’homme qui ne disparaît pas avec la mort.
C’est un clivage dans lequel notre société s’engouffre et tombe. Il n’y a que notre génération qui est capable de dire aujourd’hui que la mort emporte l’abolition définitive de la personne, quand toutes les générations et toutes les civilisations se sont développées dans la perspective d’un après, et dans l’idée que nous ne sommes pas nés simplement pour un certain temps.
Donc, parler de la mort aujourd’hui, c’est affronter cette réalité dans les termes suivants : « Dis-moi ce que tu comprends de la mort, je te dirais l’idée que tu te fais de ce qu’est une personne. Moi, je pense que “la mort n’est pas ce que vous croyez”, d’où le titre que j’ai donné à mon livre. Vous êtes plus que cela, il y a en vous quelque chose qui survit à la mort du corps. » C’est ce que nous appelons l’espérance chrétienne, et que l’Église va célébrer l’année prochaine, dans le jubilé 2025. Notre espérance revient à comprendre que si le Christ est ressuscité, cela signifie que la mort corporelle est vaincue. La marche est très difficile à franchir, même pour des chrétiens aujourd’hui.
L’espérance chrétienne porte l’idée que nous ne sommes pas des vivants qui vont vers la mort, mais que nous sommes des mortels en chemin vers la vie. Notre mort corporelle participe de ce processus. Voici la proposition chrétienne. Elle est fondée pour nous sur la résurrection du Christ, et elle nous libère aussi des formes d’arbitraire ou d’imaginaire que tout un chacun peut essayer de se figurer.
Nous avons aujourd’hui tendance à traiter de la réalité de la mort, paradoxalement, avec une forme de désinvolture.
Nous avons aujourd’hui tendance à traiter de la réalité de la mort, paradoxalement, avec une forme de désinvolture.
Que dites-vous à celles et ceux qui vivent cette tragédie, pour qu’ils essaient de comprendre l’incompréhensible ?
Nous ne mesurons pas assez, à mon sens, la réalité douloureuse que représente la mort, c’est-à-dire l’arrachement du lien charnel que nous avons eu avec des personnes. Donnons nous la mesure de laisser descendre en nous la peine et le chagrin que peuvent constituer effectivement un tel drame, parce que le cours de l’existence s’interrompt et que nous sommes des êtres tissés de relations.
Nous avons aujourd’hui tendance à traiter de la réalité de la mort, paradoxalement, avec une forme de désinvolture, comme si c’était un mauvais moment à passer. Mais je constate quand même dans le tréfonds de l’âme, de l’esprit de chacun la conviction que le défunt aimé n’a pas disparu. Ce qu’affirme une société matérialiste et globalement athée, sinon nihiliste, détonne par rapport à l’intuition quasi native et naturelle que nous avons, selon laquelle quelque chose survivra.
Nous sommes tous fondés par le lien de l’amour et de l’affection à croire que quand bien même un être cher a disparu, il n’a pas été anéanti. À partir de là, commence une quête, et ensuite une espérance. La joie de Dieu, c’est la réunion des hommes, une communion dans laquelle nous sommes faits pour vivre. Donc, nous sommes séparés pour un peu de temps. Le proche qui meurt nous précède sur un chemin que nous prendrons à notre tour. Nous sommes appelés à nous retrouver dans une vie que l’Église catholique conçoit comme une vie sur laquelle la mort n’a plus de pouvoir.
On pourra vous objecter qu’il s’agit là de belles paroles, que personne ne peut matérialiser ce que vous affirmez…
Vous avez complètement raison. Si le Christ n’est pas ressuscité, tout ce qu’annonce l’Église est vain. Et donc on peut refermer l’évangile. J’observe simplement que depuis deux mille ans, l’Église continue d’annoncer la promesse de la résurrection, c’est-à-dire la possibilité d’exister dans un autre état du corps, et que cela rejoint l’intuition profonde que nous portons tous dans le désir de vivre. Parce que Dieu a mis un désir de vivre en nous qui est en fait un désir de Lui, qui est aussi un désir d’être ensemble et de ne pas nous quitter et de nous aimer.
C’est une affirmation de la foi. Si le Christ n’est pas ressuscité, notre foi est vaine. Mais s’il est ressuscité, et je crois que c’est ce qu’il faut essayer d’entendre, c’est que nous avons la révélation de quelque chose que nous ne pouvions pas soupçonner.
Comment peut-on parler d’espérance encore aujourd’hui dans ce monde complètement fracturé ?
Si l’homme est abandonné à lui-même, il y a de quoi désespérer ou se résigner à voir que le mal grandit. Si nous croyons que Dieu n’abandonne pas l’homme, que Dieu est présent au monde et à nos vies, que c’est Lui qui tient la clé de l’issue de l’histoire, l’espérance est permise. On est entré dans une civilisation qui ne sait plus aspirer à l’éternité. Et moi, ce que je voudrais, c’est que cette aspiration d’éternité renaisse parce qu’elle est déjà présente en nous. Il faut juste oser la libérer de l’intime de nous-mêmes.