Que croit-on aujourd’hui au sujet de la mort ?
Effectivement le titre du livre suppose qu’il y a aujourd’hui une idée communément répandue selon laquelle la mort serait « la fin définitive de tout » ! Donc, la mort signifierait l’abolition définitive de la personne : il ne restera rien de vous après votre mort ! Rien qui vaille, rien du tout ! Donc l’essentiel de toute notre vie serait là, ici et maintenant.
Il est fréquent de dire qu’autrefois, on pouvait vivre 50 ans plus l’éternité, mais aujourd’hui c’est 80 ans et rien de plus. Il y avait une perspective d’un au-delà de la mort alors qu’aujourd’hui, nous sommes face à une compréhension de l’être humain qui se réduit à sa seule biologie, à sa matérialité. Il n’y a de vie que la vie organique et biologique. Il n’y a rien à attendre dans la mort. Ce livre est d’abord une réponse à ce que j’observe comme une censure de l’éternité dans notre société. Une censure de l’éternité car il n’y a plus la possibilité de se projeter dans un au-delà de la mort.
Or si nous vivons, nous vivons bien sûr pour nous accomplir en ce monde, mais avec l’intime et profonde conviction qu’il y a, en nous, quelque chose qui ne meurt pas ! C’est là tout l’enjeu de la réflexion ouverte aujourd’hui sur la question de la mort. S’il n’y a rien après cette vie , il n’y a pas d’enjeu particulier au fait de mourir puisque de toute façon quitte à mourir pour mourir, tout s’arrêtera. On pourrait se dire « un peu plus tôt, un peu plus tard », qu’est-ce que ça change ?
Cette représentation de la mort dans notre société repose sur une autre représentation : celle de l’être humain dans sa constitution. Qu’est-ce qu’un homme ? De quoi est-il fait ? Il a un corps que l’on voit. Est-ce que c’est tout ? Est-ce que la visibilité de son corps épuise la signification de ce qu’il est ? Est-ce que le visible épuise notre être et dit le fond de notre être ? Bien sûr que non ! Quelque chose en nous qui résiste à cette proposition. En effet, en toute personne humaine, quelque chose aspire à durer. C’est comme une trace d’un appel à la vie qui, en nous, n’a pas disparu. Nous sentons bien que nous sommes faits pour vivre. C’est pourquoi la perspective de la mort est occultée la plupart du temps. Elle contrevient à ce pourquoi nous sommes faits. Nous sommes faits pour la vie, nous ne sommes pas faits pour la mort ! Mais hélas de « vie », il n’y a plus aujourd’hui que celle de vos jours.
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Avec la sécularisation de la société, la vie humaine ne s’en visage plus comme un projet de Dieu sur les personnes. Cela conduit inéluctablement à une administration de la vie et de la mort, c’est-à-dire à une gestion administrative de la fin de la vie. Celui vers qui nous allons, Celui vers qui nous partons, Celui dont nous venons, Celui pour qui nous sommes faits a disparu ! Alors, les institutions médicales se retrouvent à devoir gérer de façon administrative les derniers moments. Nous n’allons plus vers le Père céleste, ce qui nous obligerait à accompagner les derniers moments comme un passage, sans les accélérer.
Or, c’est exactement le contraire que nous constatons aujourd’hui : on est tenté d’administrer la fin. La grande question au sujet de la vie et de la mort, est : que signifie « être né » dans un monde que l’on va quitter ? Quel sens a tout cela s’il nous faudra mourir ? Oui, il nous faudra mourir, c’est nécessaire ! C’est un immense paradoxe ! C’est une nécessité et pas seulement une fatalité. Une nécessité seulement si l’on comprend ce qui nous arrive dans la mort. « Nécessaire » signifie que cela participe de l’accomplissement de notre existence. C’est absolument paradoxal. Personne ne pourrait entendre une chose pareille sans une révélation sur ce qui se joue dans la mort ! Même si la mort vous prive de cette vie, qui vous dit qu’elle vous prive de LA vie ? A moins que nous soyons dans une confusion sur ce qu’est « la vie ». La « vie » telle qu’on l’entend aujourd’hui désigne la palpitation cardiaque. Mais la vie comme la mort ne sont pas ce que vous croyez ! La vie ne se réduit pas à la palpitation cardiaque. C’est la conséquence de la tyrannie de la visibilité - où n’existe que ce que je vois qui existe. Mais cela palpitation cardiaque n’est que la vie organique ! Depuis quand - chez nous depuis une cinquantaine d’années - est-ce que la vie organique épuise la vie de l’être humain ? C’est que nous avons complètement occulté la signification de la vie psychique et spirituelle. C’est-à-dire la vie de l’esprit ! Cette vie de l’esprit demeure et elle demeurera. Ce sont probablement des réalités que nous allons redécouvrir dans les années à venir, notamment à travers toutes ces expériences où l’on interroge la permanence d’une conscience dans la mort. Notre corporéité humaine n’épuise pas ce que nous sommes ! Nous sommes beaucoup plus qu’un simple organisme biologique !
Il s’agit pour nous aujourd’hui de revisiter l’idée que nous nous faisons, de ce que peut signifier le fait d’être né en ce monde. Après tout pourquoi ? Cette question est une grande question et il faut accepter de se la poser comme une énigme. Benoît XVI disait lui-même que « la vie est une question ouverte ». C’est une question qui nous est posée et une invitation à formuler une réponse. Pour les chrétiens, cette réponse a été donnée dans la résurrection du Christ. Si nous lisons l’évangile jusqu’au bout - ce qui est quelque chose de difficile – nous allons entendre que Jésus, le Christ est ressuscité ! Et il n’est pas ressuscité parce qu’il est le Christ, il est ressuscité parce qu’il s’est fait homme et révèle ce que peut la nature humaine ! En ressuscitant, il révèle ce que c’est qu’un homme dans sa forme terminale : c’est quelqu’un qui vit de la vie de Dieu ! Alors, nous sommes en chemin vers cette vie.
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Nous ne parlons jamais de la mort aujourd’hui ! Il y a une forme de tabou car on pense que le sujet est morbide. Si vous en parlez, on va vous demander si ça ne va pas ? On va vous demander pourquoi vous en parlez, si vous êtes triste ? C’est un sujet qu’il faudrait essayer d’évacuer. Mais la mort ne disparaît pas parce que nous cessons d’en parler. Nous en parlons trop peu. Je suis très sensible au fait que les connaissances médicales ont explosé depuis cinquante ans. Notre connaissance quasi-exhaustive du corps nous fascine. C’est proprement fascinant ! Nous avons d’ailleurs l’illusion d’une maîtrise et d’un contrôle quasi parfait sur la vie de ce corps, de cet organisme. Avec toutes ces connaissances, il s’est produit une sorte de délestage de la question de la signification, au profit des connaissances. Je distinguerai donc deux domaines : le domaine du connaître et le domaine du comprendre. Connaître comment fonctionne mon corps et comment on peut atténuer mes souffrances qui m’exposent à un terme. Comprendre signifie trouver le sens de ma vie.
Il est fréquent d’entendre dire qu’on « meurt mal en France ». « Mal mourir » c’est effectivement mourir dans des souffrances que nous redoutons tous et qu’il faut soulager. C’est tout l’effort attendu des soins palliatifs. Et puis, il y a « mal mourir » dans le sens de mal comprendre « pourquoi je meurs ». Cette absence de sens nous fait basculer vers l’absurdité de la vie et de la mort. Bien mourir, c’est finalement bien savoir, pourquoi je meurs et pourquoi je ne peux pas ne pas mourir ! Cela conduit à revisiter la question médicale et la question spirituelle et philosophique. La question spirituelle d’un point de vue chrétien, c’est l’Evangile, la Bonne Nouvelle ! Jésus est venu pour mourir, il a pris notre nature humaine pour affronter et pour vivre ce que doit traverser notre nature humaine pour atteindre à sa forme terminale et glorieuse. Jésus réalise précisément cette affirmation selon laquelle la mort n’est pas le dernier mot de votre vie !
Si l’on est sérieux en lisant l’Evangile alors nous comprenons qu’il existe un au-delà de la mort, un autre état du corps. Il y a une vie qui vient dans et par la mort ! Il faut écouter cela avec une grande attention car c’est une promesse. Elle nous surprend parce qu’elle est inouïe ! C’est quelque chose de redoutablement nouveau, et de proprement inouï !
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Puisque je n’ai pas de pouvoir sur mon corps et puisqu’un jour je vais devoir le perdre, je trouve nécessaire de dire et de redire très tôt : « le monde dans lequel vous êtes né est un monde qui n’est pas fait pour qu’on y reste ! C’est un monde fait pour que nous y passions ! » Si on me le dit assez tôt, je n’irais pas me faire des illusions sur la mort de la mort en ce monde. Je n’irais vendre mes biens pour acheter la pilule qui m’empêche de mourir … Cela n’a aucun sens. Dès notre naissance, nous sommes immergés dans une société qui fait miroiter la perspective de vaincre la mort – alors que vous savez depuis le début qu’un jour viendra sera le dernier jour ! Si vous savez assez tôt que personne ne reste ici, cela ne vous fait plus peur parce que vous l’avez intégré consciemment. Or nous n’avons pas intégré cette dimension. Donc la mort parlons-en ! Oui parlons-en avant ! Tout être humain vit de paroles. En chacun de nous se tient un verbe de vie. La parole nous fait vivre et la parole peut nous faire vivre jusqu’au dans ces moments ultimes. On ne finit jamais de s’énoncer soi-même.
L’académicien François Cheng posait la question de la curiosité. Vous n’êtes pas curieux de ce qui vient derrière ? Comment se fait-il que vous ne pas soyez curieux ? Nous sommes tous habités par une par une énigme au fond de nous-mêmes et nous essayons, à travers nos expériences de nous découvrir nous-mêmes, de nous dévoiler à nous-mêmes. Nous avons besoin des autres pour savoir qui nous sommes car je suis toujours « quelqu’un pour quelqu’un ». Ce sont les autres qui m’aident à accéder à moi-même. Et bien, si la mort vient interrompre ce chemin et si cela nous afflige, la promesse chrétienne contient la certitude de la révélation définitive de notre identité. Nous disons que « nous allons dans « la maison du Père ». C’est une formule extrêmement profonde. Cela veut dire nous allons entrer. Et dans cette maison, nous allons trouver un Père et des frères et sœurs. Le Père est Celui qui donne la vie, Celui dont nous sommes les enfants !
Tout comme lorsqu’un jour, nous avons été appréciés et réjouis par quelque chose qui nous a saisi, rempli intérieurement et donner le sentiment d’exister, de même nous verrons que nous existons pour Dieu. Comme le dit Saint Paul « je connaîtrai comme je suis connu ». C’est-à-dire que Dieu me fera connaître vraiment qui je suis pour Lui. Et ce moment-là s’appelle un bonheur infini ! Il faut aussi redire que la mort est une réalité d’une extrême violence. C’est la blessure la plus profonde qui puisse être. Comment voulez-vous que nous puissions envisager que la vie soit heureuse, belle et bonne, si les êtres que j’aime me sont arrachés, ou si je suis moi-même arraché à des personnes qui comptent sur moi ? Dieu nous promet de nous réunir. La conviction profonde qui anime la foi chrétienne, c’est que nous sommes faits pour vivre ensemble et précisément c’est ce que Dieu réalise : nous réunir ! Donc laissons-Le et permettons Lui si tant est qu’il ait une place dans notre vie, de réaliser ce qu’il a l’intention de réaliser !
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Je suis à peu près convaincu que ceux qui nous précèdent dans la lumière, connaissent quelque chose d’une immense joie, d’une immense paix et que si nous leur demandions de revenir, pour rien au monde ils ne voudraient revenir. Il y a, dans le passage par la mort, la promesse d’un accomplissement et notre passage conduit à un nouvel état. Un état qui nous transformera et nous comblera si nous savons nous remettre à l’amour qui nous a appelé et qui le premier nous a aimés.