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Zone de gratuité, zone à défendre

L’absence du Pape à Notre Dame de Paris à l’occasion de sa réouverture et de la reprise des célébrations religieuses, ou l’omniprésence d’Emmanuel Macron, avant et pendant ces mêmes festivités nourrissent les commentaires médiatiques. La tentative soudaine et imprévisible de rendre payante l’entrée de la cathédrale aux touristes a également agité les esprits. Jusqu’à ce jour, l’affectataire légale de la cathédrale Notre Dame de Paris, à savoir son recteur nommé par l’Archevêque de Paris, est le seul à pouvoir décider des modalités d’entrée et de circulation dans l’édifice, ainsi que de ses ouvertures et fermetures. En somme, à moins de changer la loi, rien de tel n’est possible. Le refus sans équivoque de Mgr Laurent Ulrich, actuel titulaire du siège épiscopal de Paris, laisse peu de doute sur l’issue de cette agitation. Agitation dont l’objectif essentiel pour l’Etat français pourrait être de rappeler qu’il est l’heureux propriétaire de la cathédrale. Il n’aura rien déboursé de ses propres fonds pour la restauration, se reposant entièrement sur la générosité des dons des fidèles et des amoureux de Notre Dame de Paris. Mais qu’est-ce que Notre Dame de Paris ? De quoi cette cathédrale est-elle le nom ? Passés les évidences faisant de Notre Dame un témoin de l’architecture gothique du XIIIème siècle, un monument de la littérature française ou un témoin de l’histoire de France avec le Sacre de Napoléon et le Te Deum de la Libération en 1945, il faut rendre à Notre Dame de Paris, son identité véritable.

Notre Dame de Paris dit son nom

Jamais cette cathédrale n’aurait été construite sans l’irruption décisive d’un esprit véritablement révolutionnaire à l’époque et ô combien révolutionnaire aujourd’hui encore. Le souffle vital qui inspira la construction de Notre Dame se nomme la gratuité ! C’est le nom même du Dieu que l’on vient y rencontrer ! C’est à ce saint Nom que l’humanité doit s’accrocher – la gratuité – avec fermeté comme on se tient au mât salutaire d’une embarcation lorsque les tempêtes se déchainent. Et la tempête qu’affronte notre modernité, causant une inquiétante dérive, est l’extension sans borne de la marchandisation du monde. Plus un espace de gratuité hormis les jardins publics… Dès lors, il faut comprendre que pas une seule pierre de Notre Dame de Paris n’a été posée à côté d’une autre pierre pour une autre raison que pour édifier un Temple à la gloire de la gratuité, c’est-à-dire à l’amour sans mesure dont Dieu aime l’humanité. Vraiment ? C’est bien le nom même de ce Dieu qui a créé ce monde par amour, par pure grâce, faisant don gracieusement de la vie aux hommes, lesquels s’efforcent de lui répondre par l’expression de leur gratitude. Notre Dame de Paris sera encore demain pour les générations du monde entier, le signe visible du Règne de la gratuité et de la gratitude. L’une vient de Dieu, l’autre vient des hommes, et les deux se répondent sans fin pour que l’humanité ne sombre pas sous la domination du seul pouvoir de l’argent. La vie n’a pas de prix, ce monde n’a pas de prix, l’air et l’espace que nous partageons n’ont pas de prix. La cathédrale Notre Dame est le signe visible et infalsifiable de la gratuité dans le paysage urbain de Paris. Elle est le seul lieu où il est dit à tous ceux qui y entrent : « je veux que tu existes, tu comptes à mes yeux. » Une telle parole ne saurait s’acheter d’une quelconque manière à moins de perdre toute crédibilité. N’est-ce pas parce qu’il voyait la gratuité en péril que le monde entier, en larmes, trembla à l’heure de l’incendie du 15 avril 2019 ? Si l’espace sacré de la gratuité disparait en cendres, quel espoir nous reste-t-il ?
Notre-Dame est un lieu de signification décisif pour notre époque. Nous avons manqué de la perdre une première fois dans les flammes, ne risquons pas de la perdre à nouveau dans l’argent. Elle demeure ce trésor d’une valeur inestimable parce que toute sa beauté chante la grâce, la gratuité et la gratitude. L’amour dont Dieu aime chacun, disent les catholiques, est un amour gratuit et inconditionnel. Qui le sait encore aujourd’hui ? Qui le dit sinon Notre Dame de Paris ? Oui, il existe en ce monde des espaces ou la gratuité a étendu son règne : ce sont les églises. Et les cathédrales sont les églises-mère, les gardiennes du message originel de Jésus.

Payer pour voir

Faut-il que nous soyons surpris que cette proposition survienne à l’heure où l’Etat confesse l’abime de ses déficits et quémande de quoi sauver son patrimoine religieux ? Mais que signifierait un patrimoine, témoin de l’infatigable gratuité de l’amour divin, s’il en venait à se présenter en mignonne qui dévoilerait ses atours et ses charmes, ses couleurs et ses profondeurs, pour quelque monnaie ? A moins de sceller à ses portes, des guichets collecteurs de taxes, comme une humiliation à son message, il faut qu’entrent ici, le riche et le pauvre pareillement, le vertueux et le débauché, l’érudit et l’ignorant, tous, tous, tous étant appelés à boire gratuitement en ces lieux à la source de la joie, au rappel de la beauté de leur propre vie. Notre Dame parle de cette beauté oubliée, de cette grâce cachée en chacun.
Notre Dame de Paris, qui révélez à chacun cette pure grâce en nos âmes, priez pour ce monde et conduisez-nous, à rendre grâce pour l’amour sans mesure que Jésus votre enfant, le Christ Sauveur de l’humanité, offre à tous généreusement.


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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