Au terme de leur rencontre à Rome, le vendredi 26 novembre dernier, le Président de la République, Emmanuel Macron et le Pape François ont échangé quelques paroles simples et frappantes. Les voici : Emmanuel Macron dit « Je t’ai fatigué, avec toutes ces histoires. » Le pape François lui répond : « Tu ne m’as pas fatigué », « salue ta femme pour moi. » Puis Emmanuel Macron répond : « Merci de ta patience. Merci. »
Passée la surprise, cette familiarité du tutoiement est tout sauf anodine. Elle atteste qu’il existe entre les deux hommes, un niveau de complicité que l’on aurait du mal à retrouver entre le Pape et les évêques de France. De passage à Rome, Emmanuel Macron en profitait pour rendre une visite à son ami François. Peu d’évêques auront eu autant de contacts avec le Pape ces cinq dernières années. Qu’on se le dise : Emmanuel Macron est un intime de François. Ils sont de la même veine, du même sang. Le sang des « apôtres de la Bonne Nouvelle », des visionnaires du monde qui vient. L’un le voit dans la lumière de l’Esprit-Saint, l’autre le voit dans la lumière de son audace. Quoi d’étonnant, après tout ? Emmanuel Macron ne s’est-il pas finalement présenté comme le vrai « pasteur » de la France, sorte d’« évêque suprême » d’une France laïque, qui préside les célébrations d’hommage national. Demain, l’entrée au Panthéon de Joséphine Baker vaudra aux Français un discours aux couleurs évangéliques dans l’ancienne église sainte Geneviève. Il est le serviteur de la France de demain qui voit le monde dans sa modernité. N’ont-ils pas évoqué les grandes questions pastorales qui façonnent la dernière lettre encyclique du Pape, Fratelli Tutti, que les évêques de France, occupés à d’autres affaires, peinent à relayer auprès des fidèles ?
Nous n’aurons jamais assez clairement mesuré combien le politique s’est peu à peu mué en autorité religieuse, comme le soulignait Pierre Bentata, professeur d’économie, dans son livre « l’Esprit de servitude au XXIème siècle ». (voir ci-dessous)
Clairement le Président Macron a bien occupé une place libre : celle de premier relais de François en France. Relais dont le Pape manque cruellement parmi les catholiques de France. Le Président français a compris qu’il y avait une place à prendre, d’autant que le levier de sympathie que son rôle nouveau peut lui procurer dépasse de beaucoup la seule communauté catholique. En frère universel, le Pape François se démène pour que sa parole rejoigne les périphéries de nos sociétés, lesquelles produisent exclusions et déchets, divisions et individualisme. Le tutoiement de François à Emmanuel Macron ne vaut pas quitus pré-électoral pour son bilan en matière politique ni en matière de gestion des migrants, mais celui d’Emmanuel Macron à François exprime une sincère considération dans ce que le Pape dit et accomplit dans son rôle. L’amitié va ici au-delà des divergences. C’est précisément tout ce qu’Emmanuel Macron demande aux catholiques. Emmanuel Macron ne s’embarrasse donc pas d’un respect des formes élémentaires de politesse, il ne se situe pas dans l’ordre de la déférence d’un croyant envers son autorité spirituelle. Il vise l’heureuse complicité, signe d’égalité et d’égale autorité. Entre un « Président-évêque » et un « Pape-leader mondial », les rôles sont mélangés. La distinction des ordres n’est plus l’apanage de notre époque. Désormais, la fonction religieuse des dirigeants est actée. C’est cela aussi le nouveau monde.
« Ainsi parle t-on dans la démocratie française, d’accession au trône ou au pouvoir suprême. Et dans l’exercice des fonctions : avant de siéger à l’Élysée (lieu du repos éternel des héros), on choisit le Louvre (des monarques) ou le Panthéon (des dieux) pour son investiture, afin de mieux signaler sa stature royale et divine, l’une parce que l’autre. Dans ce moment solennel, qui précède la prise officielle de fonctions, comme la foi précède la loi, l’élu et ses ouailles entre en « communion ». Synthèse qui rappelle que celui qui préside, en France, a été choisi non seulement par le peuple, mais aussi et avant tout par la providence ; doublement investi.
(…) Humanisation du divin où divinisation de l’humain, peu importe au fond, l’un comme l’autre marque une sortie de la religion, en tant que phénomène organisateur des interactions individuelles. (…) Le lent processus d’émancipation à l’égard du divin, que la philosophie des Lumières et les développements scientifiques rendirent possible, cantonna Dieu à l’espace circonscrit de la sphère individuelle, le privant de ses capacités organisatrices. (…) Repli salutaire, qui s’accompagne d’une nécessité de trouver un nouveau ciment social et politique. Car sans croyances communes, aucun ensemble d’individus disparates ne peut s’agréger en société. Cela, les grands chasseurs d’illusion religieuse l’avaient perçu, mais il gardait l’espoir que les hommes libérés de l’ombre de Dieu serait en mesure d’élever de nouvelles valeurs à même d’organiser leurs sociétés. Force est de constater qu’ils se trompaient. Les membres de la classe politique l’ont bien compris, qui puise allègrement dans le sacré pour s’auréoler de vertus humaines. Ainsi parle-t-on d’Etat « providence » et de rencontre d’un homme et d’un peuple, image équivoque qui, faisant allusion à la rencontre d’un peuple et de son Dieu, laisse supposer que c’est l’homme qui choisit le peuple et non l’inverse. (…) Dans la transsubstantiation démocratique, qui transforme la voix des citoyens en corps présidentiel, l’élu reste d’essence divine et accomplit le miracle d’unifier le divers, en devenant le médiateur de la relation transcendante du peuple à l’Etat. Dans la patrie des rois et de l’Eglise, le président fait désormais office de figure religieuse, littéralement. Il est celui par lequel s’établit le lien entre l’ici-bas et le Très-Haut, l’immanent et le transcendant, les citoyens et l’Etat. À qui il donne corps et à travers lequel l’idée du pouvoir se manifeste : « nul ne va à l’Etat sinon par moi », semble dire ce nouveau Christ laïque. »
Pierre Bentata, « De l’esprit de servitude au XXIème siècle », L’observatoire, pp121-124