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Théâtre de guerre et théâtre médiatique

Tandis que nous parviennent les images des Jeux Olympiques d’Hiver à Pekin, images de l’excellence des sports de glisse, d’autres images de chars et de soldats se mêlent à notre actualité, et évoquent combien la politique glisse elle aussi parfois vers le pire. L’actualité médiatique n’est guère réjouissante et ce malgré l’allègement des contraintes sanitaires et la perspective d’un éloignement de la pandémie du Covid-19. En effet, journaux et plateaux de télévision discutent des différents théâtres où se jouent des scènes plus ou moins dramatiques et plus ou moins comiques. Nous sommes entraînés à la fois dans le comique du ridicule et dans l’angoisse mortelle d’un possible conflit aux conséquences imprévisibles. La politique intérieure prête à rire et la politique étrangère à pleurer (et pas à pleurer de rire) tant elles se mélangent dans une expression métapolitique dont la puissance médiatique a le secret. Le plus difficile pour le citoyen, est sans doute d’opérer une distance critique pour en discerner les enjeux et les autres scènes où se jouent d’autres tragédies cachées.

Passons rapidement sur le ridicule du théâtre politique français où se déroule le mauvais scénario d’une campagne électorale triste et morne… Intéressons-nous à ce théâtre géopolitique de la menace d’un conflit à la frontière de l’Ukraine avec la Russie, qui tient en haleine depuis plusieurs semaines, les pays occidentaux. Véritable menace ou bluff ? Que se passe-t-il au juste dans notre monde moderne et mondialisé pour que nous en soyons à redouter à nouveau le fracas des bombes ? Aurions-nous perdu la tête à ce point ? Il est utile, pour y répondre, de relire quelques pages du regrété philosophe Paul Virilio, parues il y a plus de vingt ans, en 1999 dans son livre « La stratégie de déception ».

« Après l’explosion du désert du Nouveau Mexique et surtout celles d’Hiroshima et de Nagasaki, il y eut le moment béni pour les Etats-Unis où la dissuasion atomique ne se partageait pas, pas même avec un quelconque adversaire/ partenaire, comme ce fut plus tard le cas avec l’Union soviétique. PREMIÈRE DISSUASION.

Ensuite, il y eut la dégénérescence progressive de cette dissuasion absolue avec l’équilibre de la terreur entre l’Est et l’Ouest que l’on qualifia de dissuasion du FORT au FORT.

Plus tard encore, cette théorie maximaliste de la Destruction Mutuelle Assurée (MAD) a débouché sur le pouvoir égalisateur de l’atome et sur la dissuasion du FAIBLE au FORT, dont l’exemple historique est la « force de frappe » du général de Gaulle, exemple de l’identification de la souveraineté étatique à la possession de l’arme atomique.

Enfin, avec l’ère de la prolifération de l’armement nucléaire, la théorie de la dissuasion du FORT au FOU, marquée par le conflit persistant contre l’Irak, a ouvert la boîte de Pandore du délire militaire, en évitant cependant, après les essais nucléaires de l’Inde et du Pakistan - aujourd’hui, en guerre au Cachemire - d’innover la toute dernière théorie : la dissuasion du FAIBLE au FAIBLE ... À moins, à moins d’envisager qu’à ce seuil, le pouvoir égalisateur de l’atome disparaisse, pour céder la place à une théorie absurde, la dissuasion du Fou au FOU !

Devant cette longue décadence « géostratégique » de l’histoire contemporaine, qui menace grandement la paix par son instabilité même, la volonté récente d’outrepasser la souveraineté des nations par le fameux devoir d’ingérence humanitaire ajoute encore au chaos, à la menace de déstabilisation géopolitique du monde.

En ce sens, la première guerre de l’OTAN en Europe orientale augure mal de la capacité des Etats-Unis d’assurer durablement la paix, à l’ère de la prolifération mondiale des dangers que nous venons d’évoquer rapidement. A défaut de pouvoir supprimer la bombe, on se décide donc à supprimer l’Etat, un Etat-nation désormais chargé de tous les vices « souverainistes », de tous les crimes « nationalistes » et, ceci, à la décharge d’un complexe militaro-industriel et scientifique qui n’a pourtant jamais cessé d’innover, depuis un siècle, l’horreur ... en accumulant les armements les plus terrifiants, depuis les gaz asphyxiants et les armes bactériologiques, jusqu’à l’arme thermonucléaire, en attendant les ravages de la bombe informatique, ou encore, ceux d’une bombe génétique susceptible, non plus de supprimer l’État-nation, mais le peuple, la population, par modification « génomique » de l’espèce humaine. » [1]

A partir de cette description lucide et exhaustive, Paul Virilio s’inquiétait de ce que la relance de la course aux armements de suprématie (aérospatiale et atomique), et aujourd’hui informatique, ne soit aussi la course à l’épuisement économique des nations, instaurant ce qu’il nommait le « déséquilibre de la terreur » entre l’Orient et l’Occident.

Il déplorait dès lors les effets des technologies sur les sociétés et plus encore sur les personnes. Il s’inquiétait des « déchets d’une civilisation militaro-industrielle et scientifique qui s’est appliquée pendant près de deux siècles à dépouiller les individus du savoir et du savoir-faire accumulés de génération en génération depuis des millénaires, en attendant le surgissement d’un mouvement post-industriel qui prétend désormais les rejeter pour cause d’inutilité définitive…  » [2]

La culture du déchet des sociétés de consommation a fini par atteindre les personnes elles-mêmes, qui ne sont plus considérées comme personne. Dans son discours de vœux au corps diplomatique en janvier 2022, le pape François invitait à penser la contradiction inhérente à la prolifération des armements et à la construction d’une civilisation de l’amour qu’il promeut dans la lettre encyclique Fratelli tutti.

« Naturellement » disait-il, « tous les conflits sont facilités par l’abondance des armes à disponibilité et le manque de scrupules de ceux qui s’affairent à les répandre. On a parfois l’illusion que les armements ne remplissent qu’un rôle dissuasif contre d’éventuels agresseurs. L’histoire, et malheureusement aussi l’actualité, nous enseignent que ce n’est pas le cas. Celui qui possède des armes finit tôt ou tard par les utiliser, car, comme le disait saint Paul VI, « on ne peut pas aimer avec des armes offensives dans les mains » [3]. (…) Ces préoccupations sont rendues encore plus concrètes aujourd’hui par la disponibilité et l’utilisation d’armements autonomes qui peuvent avoir des conséquences terribles et imprévisibles, alors qu’ils devraient être soumis à la responsabilité de la communauté internationale. »

Or, pour que la communauté internationale puisse statuer sur la régulation des nouveaux moyens de combattre et sur les nouveaux théâtres d’opérations, il est nécessaire qu’elle dise ce qu’elle souhaite encore préserver d’humanité dans l’humanité. Et c’est là qu’apparaît un autre théâtre sur la scène duquel se déroule un drame dont personne ne souhaite vraiment connaitre l’issue, une scène dont on détourne le regard pour ne pas en voir le spectacle … C’est la mémoire d’un passé pas si lointain, « d’un terrifiant secret entourant la disparition biologique de millions d’hommes et de femmes, d’enfants ; millions de civils qui se croyaient protégés par un Etat de droit, dont ils ignoraient qu’il n’avait plus cours. Nouvelle « science de l’homme » où se trouve niée, non seulement l’identité nominale des individus, mais leur identité anthropologique, leur appartenance à l’humanité, le corps vivant de l’homme devenant sujet d’expérience et matière première en des temps de pénuries extrêmes… » [4]

« Alors que se trame « l’industrialisation du vivant » et que s’élabore secrètement un nouvel eugénisme, favorisant cette fois la sélection non plus naturelle mais artificielle de l’espèce humaine  » [5], Paul Virilio expliquait que sur la scène mondiale se déroule constamment et simultanément plusieurs drames dont le plus grave est souvent le moins visible. La captation de l’attention de l’opinion publique par les images satellites ou les bruits de bottes ne doivent pas détourner l’attention de ce qui se joue ailleurs. La guerre n’est pas seulement là où l’on menace de détruire un adversaire, mais aussi là où l’on voudrait fabriquer du vivant. Dès lors, l’attention de l’esprit doit aussi porter sur ces moyens vertigineux que l’humanité doit s’interdire d’elle-même d’employer, renonçant à s’aventurer dans la transgression des lois du vivants. On peut aussi détruire l’humanité en voulant la susciter à sa mesure. L’histoire nous l’a enseigné. Et si cette question revenait sur la scène politique française comme un véritable enjeu de campagne ?

Notes :

[1Paul Virilio, La stratégie de déception, Galilée, 1999, p.63-65

[2Ibid. p.68

[3Discours aux Nations-Unies, 4 octobre 1965, n. 5.

[4Paul Virilio, La stratégie de déception, Galilée, 1999, p. 86

[5Ibid, p. 87


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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