Alors que se déroule à Paris, la Rencontre annuelle de prière interreligieuse pour la paix, à l’initiative de la Communauté italienne Sant’Egidio, une question s’impose : que peuvent les religions pour la paix ?
Andréa Riccardi, fondateur de Sant’Egidio, le reconnait : « Les religions sont tiraillées : ce nouveau contexte, marqué par le nationalisme et l’émergence des guerres, ne cadre pas avec la culture du « vivre ensemble », qui est l’ADN des religions et qui devrait ouvrir les voies de la paix. En aidant chacun à se rencontrer, les religions sont dans leur vocation d’« être avec ». En expliquant la nécessité d’« être avec », elles nourrissent la source profonde de la paix. [1] »
Oui, mais voilà : les religions ne sont plus connues pour ce qu’elles portent. Elles sont désormais réduites ou identifiées à des forces politiques et ont perdu leur capacité à révéler la profondeur de l’homme, à éveiller au mystère de la joie de l’esprit, à la vie intérieure.
La disparition de l’énigme de la condition humaine dans la pensée contemporaine, sa nature, son unité et sa destinée, livre les religions à une simple position de surface, à tomber dans un rapport de force politique, pour finir en politisation du religieux. C’est en effet collatéral du matérialisme techno-scientiste qui a réduit la vie humaine à sa biologie excluant toute considération pour la vie intérieure, la vie de l’esprit. Sans âme, l’être humain n’a plus que son corps, et le corps devient le marqueur des politiques : de la liberté d’user de son corps, du tatouage, au voile islamique jusqu’à l’euthanasie, notre modernité athée ne sait plus goûter à l’héritage des traditions de sagesse que l’histoire nous a léguées. Cela ne semble plus nous préoccuper. L’implicite du nihilisme s’est massivement répandu laissant les religions dans une sorte de vide, sans interlocuteur. Elles sont tentées d’entrer en concurrence dans l’espace social et médiatique, au lieu d’aider à réinvestir l’espace intérieur des âmes. C’est bien là que se joue l’ensemble de nos représentations, que se prennent les décisions et que se discerne le vrai du faux, le bien du mal. La vie comme chemin d’accomplissement, la responsabilité personnelle dans cet accomplissement, ont disparu des consciences. A la place de l’homme en chemin, homo viator, c’est un accomplissement par le seul plaisir, le confort, l’absence de troubles (ataraxie), et finalement l’individualisme poussé à son paroxysme.
Les religions demeurent pourtant des ressources précieuses pour la paix dans le monde. Il faut qu’elles défendent âprement ce dont elles sont les gardiennes : la dimension spirituelle de l’homme qui est beaucoup plus importante que notre époque le pense. La gloire de Dieu et la dignité de l’homme sont au fond une même chose, lorsque nous comprenons qu’il ne saurait y avoir d’homme sorti du hasard de l’univers, ni de divinité sans humanité. L’homme n’est pas qu’une créature biologique, il participe à la révélation de la divinité, dont le Temple est son corps. La domination moderne de l’homme sur la divinité, ou la soumission de l’homme à la divinité, c’est-à-dire les formes de séparation entre l’homme et Dieu, produisent les affres violentes de l’histoire. Seule la perspective de leur union, sauve et l’homme et la divinité.
Les bruits de guerre qui retentissent sur les plateaux de télévision, ne font que verser dans ce même aveuglement, ce même oubli de part spirituelle de notre humanité. C’est seulement en elle, dans notre spiritualité, que l’humanité paraît vraiment, et sans elle, l’humain est livré à son animalité, à la bestialité de sa condition amputée de la réalité essentielle. C’est seulement lorsque Dieu se donne à voir en l’homme, que l’humain paraît vraiment. Cette vision n’est ni celle du pouvoir, ni de la puissance, mais celle de l’homme qui se donne humblement jusqu’au bout, jusqu’à la mort même. La clé de cette énigme se trouve en l’amour qui relève et transfigure.
Combien de temps nous faudra-t-il attendre pour comprendre que la paix de demain se gagne aujourd’hui dans l’éveil de la vie spirituelle de nos enfants ? Dieu seul le sait, qui nous invite au discernement.