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Pourquoi faut-il oser l’écoute des religions en France ?

Le paysage des religions en France se transforme et notre attention est attirée par les courants internes aux religions elles-mêmes qui modifient et altèrent parfois les relations entre les religions et la vie politique. Chacune des trois religions monothéistes est concernée à un titre différent.

 Le catholicisme connaît une véritable rétraction de son empreinte dans la société française. Le catholicisme s’efface sans parvenir à renouveler sa proposition, sa conception de l’Homme et de la société pourtant matrice de la devise républicaine. Cette perte d’audience est largement due pour certains, à un désengagement institutionnel dans la vie politique et une faible présence dans l’espace médiatique.

 L’islam est traversé par de forts courants intégristes à travers le monde. Cet intégrisme islamique progresse jusque dans les mentalités françaises, du simple fait du traitement médiatique de ses exactions (11 septembre 2001, Daech, attentats, …) fut-ce pour s’en horrifier. L’islam radical apparaît comme une tentative d’intrusion dans la décision politique des Etats notamment européens mais pas seulement, par différents moyens (corruption, menace, intimidation…).

 L’identité juive enfin, largement ignorée dans sa signification originelle, est captive d’une réduction à la politique de l’Etat d’Israël. La politique de colonisation menée par les gouvernements depuis plusieurs décennies, dégradent les relations entre l’Etat d’Israël et ses voisins. Cette réduction induit une confusion dans l’opinion entre identité religieuse (juive) et administration de l’Etat d’Israël, qui nourrit un antisémitisme sinon théologique du moins politique.

En France, le peu d’intérêt pour les questions spirituelles et religieuses déplace le centre de gravité des questions théologiques vers les questions politiques. Ainsi, un processus de communautarisation semble en voie d’accélération et les identités religieuses se teintent de colorations politiques.

On déplorera que la question proprement religieuse au sens de spirituelle disparaisse derrière les jeux de pouvoir et d’influence politique. Elle devient de plus en plus difficile à honorer. Comme le disait le frère dominicain Olivier-Thomas Venard, au sujet de la situation en Israël : « Cette région souffre ¬sûrement des excès de nombreux prétendus religieux, elle souffre surtout d’un manque de religion. [1] » Il est vrai que les religions n’ont pas toutes le même rapport à la vie sociale et politique des nations au sein desquelles elles existent. Ces enjeux politiques en France contaminent les religions et les instrumentalisent. Ils empêchent d’aborder au fond, les ressorts spirituels de ces traditions religieuses. Ainsi la France est-elle malade, non d’un excès de religion, mais d’un manque de pensée réellement religieuse. « La fabrique de la démocratie ne peut se contenter d’ignorer les religions. À la fois dans la contribution qu’elles sont susceptibles d’apporter, mais aussi dans la menace qu’elles peuvent parfois représenter » écrivait récemment l’historien Sébastien Fath. « Au nom de la laïcité, nombre d’observateurs républicains ont longtemps soutenu que les doctrines ne comptaient pas. (…) Mais trop d’épisodes récurrents nous rappellent que la violence physique trouve parfois justification dans une prescription religieuse. Répéter que les religions sont toujours du côté de la paix est historiquement faux [2] ».

Les religions doivent alors pouvoir s’aider mutuellement afin de résister à la tentation politique, et sortir de la tentation de la « violence sacrée ». L’Eglise catholique en France n’a pas encore joué tout son rôle d’alerte sur l’islamisme radical. Non pour culpabiliser, mais au contraire pour aider à se soustraire à l’emprise des fondamentalismes que promeuvent les courants intégristes. Il n’est jamais trop tard pour réagir car la vérité seule grandit l’homme. Il n’y a de fraternité véritable qu’au prix de la vérité. « Croire en Dieu ne dispense pas de la recherche de la vérité ; tout au contraire, cela l’encourage [3] » disait Benoit XVI en Jordanie en 2009. La doctrine de l’Islam n’est pas sous l’autorité d’un unique Magistère. Elle varie sous la coupe de différentes autorités, Etats ou mouvements, qui indexent la coloration de l’islam à leurs propres orientations politiques.

Les religions sont par ailleurs à même d’apporter un supplément d’âme à la vie de la République. Elles peuvent sortir la vie politique de son propre oubli de ce qui anime l’esprit et le cœur de tout être humain. « La démocratie a besoin de la religion » explique le sociologue Hartmut Rosa [4]. Les religions sont en principe, les gardiennes de la nature spirituelle de l’être humain et de ses aspirations les meilleures. « La religion est une force, elle dispose d’un réservoir d’idées et d’un arsenal de rituels, avec ses chants, ses gestes, ses espaces, ses traditions et ses pratiques appropriées, qui permettent de sentir et de donner du sens à ce que veut dire « être appelé », se laisser transformer, être en résonance » explique Hartmut Rosa. « La résonance est pour ainsi dire le lieu où quelque chose de neuf advient. (…) La pensée religieuse dans son ensemble, toute la tradition, les meilleures interprétations religieuses sont fondées sur l’idée et la mise en présence de relations de résonance. »

Devant la transformation du paysage religieux en France, l’heure est à la redécouverte du rôle spécifique et irremplaçable de la religion. L’heure est à l’écoute de ce qu’elle porte comme conscience de la dignité de toute personne. L’heure est aussi à l’approfondissement et au partage mutuel de leurs traditions. Si une religion existe comme écoute du divin, si elle garde vive la conscience à la fois de la transcendance et de l’universalité, alors elle ouvre à la société la voie d’un véritable enrichissement collectif.

Notes :

[1Figaro Magazine, 3 novembre 2023

[4Hartmut Rosa, Pourquoi la démocratie a besoin de la religion, Ed. La Découverte, p 74


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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