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Plaidoyer pour une nécessaire régulation afin de préserver la vie des démocraties

Le 21 avril 2022, l’ancien Président des Etats-Unis (2009-2017) Barak Obama prononçait un important discours devant des étudiants de Stanford, l’université au coeur de la Silicon Valley, en Californie. Il soulignait la nécessité d’une meilleure régulation des acteurs du numérique et partageait son inquiétude sur le phénomène de la désinformation et de ses effets sur les démocraties. Barak Obama appelait une nécessaire régulation afin de préserver la vie des démocraties. Une régulation à la fois technique par le contrôle des plateformes, mais aussi morale, par la responsabilité personnelle des utilisateurs.

Voici quelques extraits du discours de Président Obama :

« Nous devons admettre que, au moins dans les années qui ont suivi la fin de la guerre froide, les démocraties ont fait preuve d’une dangereuse complaisance. Trop souvent, nous avons considéré la liberté comme allant de soi. Ce que les événements récents nous rappellent, c’est que la démocratie n’est ni inévitable ni auto-exécutoire. Les citoyens comme nous doivent la nourrir, la soigner et nous battre pour elle. A mesure que les circonstances changent, nous devons être prêts à nous regarder d’un œil critique et procéder aux réformes qui permettront à la démocratie non seulement de survivre, mais aussi de prospérer. Cela ne sera pas facile. De nombreux facteurs ont contribué à l’affaiblissement des institutions démocratiques dans le monde.
L’un de ces facteurs est la mondialisation (…) qui avec l’automatisation, a accéléré les inégalités mondiales, mis fin à des économies entières et laissé des millions de personnes se sentir trahies et en colère contre les institutions politiques existantes. Il y a aussi la mobilité et l’urbanisation accrues de la vie moderne, qui ébranlent encore plus les sociétés. (…)

(…) Nous devons réformer nos institutions politiques afin de permettre aux gens d’être entendus et afin de leur donner un véritable pouvoir. Nous devons raconter de meilleures histoires sur nous-mêmes et sur la façon dont nous pouvons vivre ensemble, malgré nos différences. (...) Je suis convaincu qu’à l’heure actuelle, l’un des principaux obstacles à la réalisation de tout cela, voire l’une des principales raisons de l’affaiblissement des démocraties, est le profond changement qui s’opère dans la manière dont nous communiquons et consommons l’information. (…) L’internet et la révolution de l’information qui l’accompagne ont transformé les choses. Et il n’y a pas de retour en arrière possible. Mais comme toutes les avancées technologiques, ce progrès a eu des conséquences inattendues qui ont parfois un prix. Dans le cas présent, nous constatons que notre nouvel écosystème d’information stimule certaines des pires pulsions de l’humanité. Tous ces effets ne sont pas intentionnels ni même évitables. Ils sont simplement la conséquence de milliards d’humains soudainement branchés sur un flux d’informations mondial instantané, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. (…)

Il y a aujourd’hui une prolifération pure et simple de contenu et l’éclatement de l’information et des publics. Cela a rendu la démocratie plus compliquée. (...) Nous sommes devenus plus enclins à ce que les psychologues appellent le biais de confirmation, c’est-à-dire la tendance à sélectionner les faits et les opinions qui renforcent nos visions du monde préexistantes et à filtrer ceux qui ne le font pas. Ainsi, à l’intérieur de nos bulles d’informations personnelles, nos hypothèses, nos angles morts et nos préjugés ne sont pas remis en question, ils sont renforcés. Et naturellement, nous sommes plus susceptibles de réagir négativement à ceux qui consomment des faits et des opinions différents. Tout cela creuse les fossés raciaux, religieux et culturels existants. Il est donc juste de dire que certains des défis actuels auxquels nous sommes confrontés sont inhérents à un monde entièrement connecté. Notre cerveau n’est pas habitué à absorber autant d’informations aussi rapidement, et un nombre croissant d’informations sont disponibles.

Mais tous les problèmes que nous rencontrons aujourd’hui ne sont pas un sous-produit de cette nouvelle technologie. Ils sont aussi le résultat de choix très spécifiques faits par les entreprises qui ont fini par dominer l’internet en général et les plateformes de médias sociaux en particulier. Des décisions qui, intentionnellement ou non, ont rendu les démocraties plus vulnérables. (…) Des acteurs sophistiqués, qu’il s’agisse de consultants politiques, d’intérêts commerciaux ou de services de renseignement de puissances étrangères, peuvent jouer avec les algorithmes des plateformes ou augmenter artificiellement la portée des messages trompeurs ou nuisibles.

(…) les plateformes de recherche et les médias sociaux (…) sont notre principale source d’informations. Personne ne nous dit que cette fenêtre est floue, soumise à des distorsions invisibles et à des manipulations subtiles. Tout ce que nous voyons, c’est un flux constant de contenus où les informations factuelles utiles, les joyeuses distractions et les vidéos de chats côtoient les mensonges, les théories du complot, la science de pacotille, le charlatanisme, les tracts racistes et suprématistes, les écrits misogynes… Et avec le temps, nous perdons notre capacité à faire la distinction entre les faits, les opinions et la fiction pure. Ou peut-être que nous cessons simplement de nous en soucier. Et nous tous, y compris nos enfants, apprenons que si vous voulez vous élever au-dessus de la foule, au-dessus du vacarme, si vous voulez être aimé et partagé, et bien oui, il faut devenir viral ! Alors colporter la controverse, l’indignation, voire la haine vous donne souvent un avantage. Il est vrai que les entreprises technologiques et les plateformes de médias sociaux ne sont pas les seuls distributeurs d’informations toxiques.

(…) Les plateformes de médias sociaux ont accéléré le déclin des journaux et des autres sources d’information traditionnelles. Il existe encore des journaux et d’autres organes de presse qui se sont adaptés au nouvel environnement numérique tout en maintenant les normes les plus élevées en matière d’intégrité journalistique. Mais comme de plus en plus de revenus publicitaires vont aux plates-formes qui diffusent les informations, (…) tous ressentent la pression de maximiser l’engagement afin d’être compétitifs. (…) C’est l’environnement de l’information dans lequel nous vivons maintenant.

(…) il n’est pas nécessaire que les gens croient ces informations pour affaiblir les institutions démocratiques. Il suffit d’inonder la place publique d’un pays avec suffisamment d’eaux usées brutes. Il suffit de soulever suffisamment de questions, de répandre suffisamment de saletés, d’implanter suffisamment de théories pour que les citoyens ne sachent plus quoi croire. Une fois qu’ils ont perdu confiance dans leurs dirigeants, dans les médias grand public, dans les institutions politiques, les uns dans les autres, dans la possibilité de la vérité, la partie est gagnée. (...)

Alors, que faisons-nous à partir de maintenant ? Si nous ne faisons rien, je suis convaincu que les tendances que nous observons vont s’aggraver. Les nouvelles technologies remettent déjà en question la façon dont nous régulons la monnaie, dont nous protégeons les consommateurs de la fraude. Et avec l’émergence de l’IA, la désinformation va devenir plus sophistiquée.

En tant que citoyens, nous devons prendre sur nous de devenir de meilleurs consommateurs de nouvelles, en regardant les sources, en réfléchissant avant de partager et en apprenant à nos enfants à devenir des penseurs critiques qui savent évaluer les sources et séparer l’opinion des faits. (...) Nous devons trouver des moyens de donner aux jeunes et au reste d’entre nous, la possibilité de développer des muscles civiques. Et nous devons trouver comment le faire, non seulement dans le monde réel, mais aussi sur les plateformes virtuelles où les jeunes passent du temps. (...)

Le signe écrit à la main était un outil. La télévision est un outil. L’Internet est un outil. Les médias sociaux sont un outil. En fin de compte, les outils ne nous contrôlent pas. Nous les contrôlons, et nous pouvons les remodeler. C’est à chacun d’entre nous de décider de ses valeurs, puis d’utiliser les outils qui nous ont été donnés pour les promouvoir. Et je crois que nous devrions utiliser tous les outils à notre disposition pour garantir notre plus grand cadeau, un gouvernement de, par, pour le peuple pour les générations à venir.


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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