Il nous faut apprendre à mieux penser la mort et l’au-delà de la mort. La fête de la Toussaint le 1er novembre, puis le jour de prière pour les défunts, le 2 novembre orientent chaque année nos regards vers l’au-delà de cette vie temporelle. Nous pensons à ceux qui nous ont quitté, et si nous croyons en Dieu, nous les confions à sa tendresse et à sa Miséricorde. Nous, qui sommes encore en route, nous invoquons aussi l’intercession des saints qui jouissent de la lumière divine.
La question de la mort permet de retrouver le centre de gravité de la foi chrétienne : la résurrection de Jésus d’entre les morts. C’est en elle que s’atteste ce fait inouï que la mort n’est pas le dernier mot de la vie. Il est même le premier mot d’une vie nouvelle !
C’est cette espérance qui caractérise les chrétiens. Ils croient que l’amour dont Dieu aime l’humanité est aussi source de vie pour elle. Puisque l’existence dépend de Dieu de bout en bout, Dieu n’a pas de place à prendre dans la vie des hommes, il est la vie des hommes !
Cela m’amène à six remarques essentielles que je livre à votre méditation.
1 - Ce monde n’est pas un monde où l’on reste. Personne ne reste ici car c’est un monde où l’on passe C’est une évidence qui peine cependant à trouver sa place dans nos discours. En effet, certains de nos contemporains s’ingénient à vouloir repousser la mort, et rêvent d’une éternité dans ce monde. Ou bien au contraire, ils songent à le quitter avec le moins d’inconfort possible.
2 - Le corps de l’homme n’est hélas vu que dans sa dimension organique. Il a perdu sa fonction de signe non seulement de la bienveillance divine mais surtout d’un appel à aimer. Le corps est devenu la propriété de l’homme. Dès lors, l’homme est aliéné à son corps et ne peut en concevoir aucune évolution sinon de redouter sa perte.
3 - Il nous faut apprendre à penser notre mort, non comme un évènement possible, mais comme un évènement certain. Bien qu’elle soit inscrite dans le futur et qu’elle soit par-là incertaine quant au jour, notre mort nous appartient déjà. Nous allons bien tous mourir. Cela ne doit pas nous inquiéter mais nous inviter à réaliser ce qui doit encore grandir en nous.
4 - Pour naître et exister, il faut que nous n’ayons pas toujours été. Notre naissance a été un surgissement dans l’histoire. Elle contient un arrière-fond d’inconnaissance, un vrai mystère ! Il faut reconnaître que nous n’avons pas toujours existé et que nous avons été tirés mystérieusement du néant, par la médiation de nos parents qui nous ont mis au monde. Nous ne percevons plus assez combien toute vie existe sur fond d’inexistence.
5 - Nous oublions trop souvent que nous ne sommes pas maitres du temps. Dès lors, le temps devient vite une mesure de la vie, et l’obnubilation du temps – comme mesure de la vie - entraine l’accélération de tout pour ne pas perdre de temps. Mais le temps ne se confond pas avec la vie. La vie est autre chose que du temps ! C’est seulement en étant habité par l’amour que nous sortons de l’étroitesse angoissante du temps. Il est nécessaire de rappeler que la nature humaine n’est pas que corporelle, ni psychique, elle est aussi spirituelle ! Et c’est sous cet aspect qu’elle est apte à une vie qui transcende la vie organique et psychique. C’est évidemment contraire à toutes nos représentations. Et pourtant la vie n’est pas ce qui précède la mort. La vie est ce qui ne peut pas mourir.
6 - La possibilité même que la vie ne se réduise pas à l’expérience temporelle est devenue la chose la plus difficile à croire aujourd’hui. Nous sommes peut-être nous-mêmes atteints par le doute quant à la possibilité qu’il existe un autre état du corps, l’état de Ressuscité que décrivent les Evangiles lorsque Jésus revenu de la mort apparaît à ses apôtres. Mener le combat de la foi dans notre époque incrédule, c’est tenir fermement la promesse que le Christ a faite : « et moi je les ressusciterai au dernier jour. »
Il faut du courage aujourd’hui pour annoncer ce qui n’est pas au pouvoir de l’homme mais de Dieu. Il faut du courage pour braver la dérision de ceux qui contestent votre espérance parce qu’ils n’en ont pas pour eux-mêmes. Ce que nous appelons la résurrection n’est pas une continuation linéaire de cette vie, c’est l’irruption définitive de la vie divine en l’homme. C’est l’expérience pure de l’amour dont le Père nous aime.
Comme Moïse lui-même, en reçut l’annonce au buisson ardent, un buisson qui n’était pas consumé par le feu mais au contraire préservé par ce feu, c’est le feu de l’amour du Père qui préserve de toute mort et fait resplendir la vie.
Le défi spirituel de notre époque consiste à rejoindre tous ceux qui n’osent plus espérer que notre vie terrestre demeure comme l’antichambre de la Vie, Vie où se dévoilera enfin que l’Amour et la Vie sont une seule et même chose.