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Merci Clémentine

Merci Clémentine d’avoir accepté et pris le risque de partager à des auditeurs inconnus, votre face-à-face avec un cancer qui finira par vous emporter.

Clémentine Vergnaud était journaliste à franceinfo. Elle est morte le 23 décembre 2023, à 31 ans, après s’être battue contre un cancer détecté un an et demi plus tôt.

Son combat contre la maladie a révélé une belle âme, franche, directe, sincère. Ce combat la conduisit sur un chemin d’humilité et d’amour qui ont donné sens à sa vie jusqu’au bout. Comment le savons-nous ? Parce qu’une heureuse inspiration a conduit ses collègues de travail à lui suggèrer de réaliser une série de brefs entretiens [1] au fil des semaines, au fil des soins, sur ce combat si intime contre ce mal qui se tenait dans son corps et l’épuisait peu à peu. Elle accepta l’invitation. Jusque dans son épreuve, elle s’est donnée pour nous enrichir de ses pensées.

Prendre le temps d’écouter la voix de cette jeune femme, est la juste réponse au cadeau qu’elle a fait. Si vous ne l’avez pas encore fait, faites-le sans hésiter. Elle sera immédiatement votre amie, votre sœur et vous partagera ce que peu de personnes osent exprimer au sujet du chemin de croix que représente le face-à-face avec un cancer.

Son verbe explore l’intime, il se donne en vérité et élève l’auditeur vers les cimes de la vérité de la condition humaine. Une vie de relations, de fragilités, de désirs et d’espoirs. Clémentine raconte ses douleurs, ses peurs et ses doutes. Elle raconte et sa parole deviendra comme l’antidote face à l’absurde. Est-il possible d’être captive de la mort à 31 ans seulement ? Oui, c’est bien dans un face-à-face avec la mort qu’elle s’engage et nous avec.

Mais qu’est-ce que la mort pour elle ? Qu’y a-t-il derrière le verbe « mourir » ? Qui sait le temps qu’il nous reste à vivre ici ?

La mort est la grande énigme de notre condition humaine. On ne la nomme jamais ou le moins possible. La médecine a pour mission de la repousser. Et pourtant, il faut bien que les médecins eux-mêmes se fassent un jour, les médiateurs d’un terme inéluctable. Ce fut le cas pour Clémentine, lorsque soudainement son cœur ne pulsait plus assez de sang. Elle est lucide, les professionnels le sont aussi qui lui annoncent qu’il faut penser à des directives. C’est sa mort imminente annoncée… c’est la violence d’une fin de vie, là maintenant, tout de suite à laquelle on ne s’est pas préparé.

Clémentine raconte ce moment où une médecin lui annonce : « Madame Vergnaud, ça ne se présente pas très bien. On ne va pas vous le cacher. On a deux hypothèses : soit il y a vraiment une toxicité cardiaque de la chimiothérapie sur votre cœur et là globalement, on ne pourra rien faire parce qu’on est déjà quasiment au maximum des médicaments. Donc dans ce cas-là, vos organes vont lâcher les uns après les autres et vous allez mourir. Soit c’est ce qu’on appelle un syndrome de tako-tsubo, le syndrome du cœur brisé qui est le fait que sur une trop forte charge émotionnelle ou physique, le cœur se crispe et d’un coup il n’arrive plus à se contracter correctement mais c’est tout à fait réversible. »
En larmes sur son lit, Clémentine dira que ce moment fut le plus dur de son hospitalisation. La mort était là, comme à sa porte. Elle menaçait de rompre tous les liens vitaux de son existence. Les liens d’amour et de présence. Clémentine comprend alors tout le pouvoir destructeur de la mort et en saisit l’horreur. Et pourtant son cœur repart. Elle est en sursis. Ce n’est pas encore l’heure, pas encore son heure.

Merci Clémentine pour ce témoignage. Entendre aujourd’hui votre voix alors que vous n’êtes plus là. Découvrir votre histoire qui interroge au fond notre histoire à chacun. Et moi comment aurais-je réagi ? Quel type de combattant aurais-je été à sa place ? Parler de la mort qui vient semble aujourd’hui le tabou suprême. Mais non. Clémentine aura surtout parlé de la vie qui demeure et ce qui fait vivre vraiment.

Car au fond que nous raconte son histoire ? Elle exprime trois enseignements essentiels. Le premier est que la mort appelle l’amour. L’amour seul peut défaire l’absurdité de la mort. Le second est que l’amour se dévoile dans une alliance. Et le troisième que le combat contre la mort se remporte dans et par le « verbe ». C’est ce dont Clémentine a magnifiquement témoigné sans nécessairement le vouloir, mais c’est ce grand mystère de l’amour qui fait alliance et qui se dit dans la chair qui est apparu dans les derniers mois de sa vie.

La mort qui vient appelle l’amour de l’autre, l’amour des autres pour supporter l’épreuve. L’amour seul console vraiment. Clémentine était consciente que la présence de son compagnon Grégoire, était un cadeau et que ce dernier aurait pu fuir l’épreuve lorsque le cancer s’est déclaré. Il est resté et sa présence, comme toute présence affectueuse a été la force de Clémentine.

L’amour s’est ensuite dévoilé dans une alliance, celle de leur mariage, célébré dans la chambre d’hôpital. L’alliance contient la promesse d’un lendemain de présence. « Oui, je serai là demain pour toi ». L’alliance comble l’espace de nos peurs. L’alliance est la promesse que le meilleur de nous est encore devant nous. « Demain avec toi, je serai là ».

Enfin, c’est par le « verbe » que Clémentine a remporté son combat contre la maladie et contre la mort. Le pouvoir du verbe est pouvoir de vie. Son verbe intérieur s’est livré sur les ondes et par le monde des technologies, il continue de faire entendre sa voix unique. Clémentine est entrée dans cette « identité narrative » dont parle Paul Ricoeur, dans la mise en mots de soi à travers un chemin qui enseigne combien notre vie est dans le récit. La mort n’a de prise que sur le corps de Clémentine. La mort s’est heurtée à sa volonté de vivre, d’aimer et de le dire ! Car en dernier ressort, il n’y a de vie que d’amour. L’appel de Clémentine à la présence de ses proches à l’heure de l’ultime expire, est des plus touchants.

Clémentine n’évoque à aucun moment une croyance dans un au-delà… Un ami rabbin, malade comme elle, avance avec elle sur le chemin de l’épreuve. La religion de Clémentine porte un nom : « ma main dans la sienne ». Religion de la présence ! La présence est l’essentiel et l’essentiel est dans la présence à l’autre. Ne pas être seule ! Etre prise par la main… être conduite dans et vers un au-delà dont on ignore tout !
Cette jeune femme malade reste au service du témoignage. Elle est heureuse de l’être. Une femme pleine de gratitude pour ceux qui l’auront écoutée. Elle s’est éteinte.

Aujourd’hui son récit se poursuit. Ce n’est plus Clémentine qui porte un nom, c’est un nom qui porte Clémentine dans et par-delà sa mort. Ce nom, nous le prononçons en ces lignes. Être à la manière humaine, c’est être nommé. Et si Jésus lui-même, prononçait son nom… Voilà l’heure de l’entrée dans la Vie et de la Résurrection.


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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