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Les enseignements de la visite du Pape François à Marseille

En venant prendre part aux 3èmes rencontres méditerranéennes, le Pape a délivré plusieurs messages spirituels que je propose de relever.

Le premier se déduit logiquement de l’occasion même de sa venue. En rejoignant à Marseille, les travaux des évêques de la Méditerranée, le Pape a simplement mais fortement rappelé que les défis de la Méditerranée sont trop importants pour être laissés aux seuls responsables politiques. La gestion souvent à court terme des autorités publiques ne permet pas de prendre en compte des éléments décisifs dans la résolution d’un problème. Il est nécessaire, pour dépasser les tensions et les peurs, de permettre aux religions se s’impliquer et d’offrir le meilleur dont elles sont porteuses : la rencontre, la confiance dans la rencontre. Les ressources spirituelles et humaines sont trop souvent négligées par ceux qui tendent de plus en plus à réguler de manière seulement technique, administrative et juridique. Il faut parvenir à dépasser l’opposition stérile entre une gestion économique, politique et sécuritaire et les considérations éthiques et humanistes. « L’engagement des seules institutions ne suffit pas, » dit le Pape « il faut un sursaut de conscience pour dire "non" à l’illégalité et "oui" à la solidarité, ce qui n’est pas une goutte d’eau dans la mer, mais l’élément indispensable pour en purifier les eaux ».

Ainsi le Pape a rappelé que l’engagement dans la vie sociale, dans la vie politique et l’engagement international d’une nation suppose et appelle un enracinement spirituel. Telle restera la grande leçon du Pape François à Marseille et à finalement à toute la France. La France doit retrouver confiance dans ses ressources spirituelles et religieuses pour relever le défi de sa propre unité et de l’unité de la famille humaine. « L’avenir, qu’on le veuille ou non, se fera ensemble ou ne sera pas » affirme François.

Puis, à la lumière des paroles du Pape, il est possible de déduire trois enseignements sur la manière d’incarner et de conduire cette contribution au service de la société :

1/ Une Eglise priante et servante à l’image de Marie.
2/ Penser selon une logique d’un monde ouvert est le devoir de civilisation.
3/ Servir l’unité de la famille humaine face aux deux fanatismes : l’indifférence et les fondamentalismes religieux.

1/ Etre une Eglise priante et servante, qui éduque à la manière de Marie

C’est dans la proximité avec la Vierge Marie, modèle de prière et d’écoute de la Parole de Dieu et de la peine des hommes, que le Pape a voulu engager l’Eglise des pays méditerranéens. C’est de Marie que nous apprenons l’accueil et le service sans réserve des plus petits. C’est ainsi que l’on sauve leur dignité de personnes et que l’on ne perd pas la sienne propre ! «  Le Ciel nous bénira si, sur terre comme sur mer, nous savons prendre soin des plus faibles, si nous savons surmonter la paralysie de la peur et le désintérêt qui condamne à mort [1]  » disait François. La catégorie du « Ciel » n’existe pas pour les responsables politiques, mais elle constitue le rappel très salutaire qu’ils ne maitrisent pas toutes les catégories de la création. «  Que l’Évangile de la charité soit la magna charta de la pastorale » a-t-il exhorté. « Nous ne pouvons accepter que la vérité du dieu argent l’emporte sur la dignité de l’homme, que la vie se transforme en mort ! L’Église, en confessant que Dieu, en Jésus Christ, « s’est en quelque sorte uni à tout homme » (Gaudium et spes, n. 22), croit, avec saint Jean-Paul II, que son chemin est l’homme (cf. Lett. enc. Redemptor hominis, n. 14). Elle adore Dieu et sert les plus fragiles qui sont ses trésors. Adorer Dieu et servir le prochain, voilà ce qui compte : non pas la pertinence sociale ou l’importance numérique, mais la fidélité au Seigneur et à l’homme [2]  ».

Si les considérations seulement politiques se révèlent finalement incapables de produire le début d’une solution à la crise migratoire, c’est au fond qu’elles ne savent pas prendre en compte les composants incontournables de la vie humaine : l’amitié et le désir d’unité et de fraternité des peuples. Les discours des représentants politiques surfent constamment sur les promesses sécuritaires face aux peurs, aux dangers et aux risques. Les citoyens peuvent et veulent plus que ce que leurs responsables politiques sont capables de leur proposer actuellement. Ils peuvent la fraternité dont l’inspiration est divine. Ils peuvent plus de partage, plus d’écoute et de considération, plus de participation à la résolution des défis.
Face à la faillite de la gestion de la crise migratoire par l’Union européennes et les autorités politiques des différents pays de l’Union, il est nécessaire de restaurer une conscience plus large. Pour François, «  le phénomène migratoire n’est pas tant une urgence momentanée, toujours bonne à susciter une propagande alarmiste, mais un fait de notre temps, un processus qui concerne trois continents autour de la Méditerranée et qui doit être géré avec une sage prévoyance, avec une responsabilité européenne capable de faire face aux difficultés objectives [3]  » .

L’impasse politique et l’inertie des institutions sont un des ingrédients parmi d’autres qui produisent les drames que connait la Méditerranée. En réponse le Pape François souligne les dispositions intérieures des chrétiens : «  oublieux de nous-mêmes, libérés de l’autoréférentialité, prêts à nous dépenser sans cesse pour les autres.  » L’Eglise offre son expérience éducative au «  défi prioritaire de l’éducation qui concerne tous les âges de la formation : dès l’enfance, "en se mélangeant" avec les autres, on peut surmonter beaucoup de barrières et de préjugés en développant sa propre identité dans le contexte d’un enrichissement mutuel. L’Église peut bien y contribuer en mettant au service ses réseaux de formation et en animant une "créativité de la fraternité". « Des jeunes bien formés et orientés à fraterniser pourront ouvrir des portes inespérées de dialogue [4]  ».

2/ Penser selon une logique d’un monde ouvert, c’est le devoir de civilisation

La présence et les paroles du Pape François auront naturellement fait resurgir les lignes de fractures entre les tenants d’une rationalité économique, démographique qui s’opposent et accusent le Pape d’irrationalité émotionnelle et compassionnelle. Dans l’affrontement de ces deux logiques, nous oublions généralement deux aspects pourtant nécessaires à la saisie exhaustive du problème. L’Eglise peut aider à changer de regard sur le monde.
En effet, contrairement aux apparences, nous ne sommes pas d’abord ici chez nous, nous ne sommes pas propriétaire de ce monde, mais nous sommes ici chez « un autre ». De même, nous ne sommes pas davantage propriétaire de cette vie qui passe dans ce monde - où chacun passe. Toute existence est débordée ou dépassée par un temps où ce monde existait sans nous et un état où nous aurons quitté ce monde. Ces évidences logiques se laissent éclairer par la foi : ce monde n’est pas notre lieu définitif. Seule cette vérité permet de sortir de la logique binaire de la raison et de la compassion. Elles permettent une saisie de la totalité de l’existence humaine, qui ne saurait être réduite à l’étroitesse d’une productivité économique ou d’un coût social. «  La ville que nous avons ici-bas n’est pas définitive : nous recherchons la ville qui doit venir [5]  » disait le passage de la lettre aux Hébreux (13,14), lu lors de la célébration de la messe au stade vélodrome.

Indéniablement, les déséquilibres économiques mondiaux atteignent des seuils critiques d’acceptabilité. Indéniablement, les flux migratoires sont la traduction visible de ces déséquilibres économiques trop souvent cachés dans des jeux de pouvoirs politiques et de comptabilité. Il demeure que la civilisation européenne conserve dans le monde et pour le monde la conscience de ce que la nature humaine n’est pas réductible à des calculs. L’homme est fait pour plus que ce monde seulement. C’est dans l’intégration de cette dimension, de cette promesse, que le Pape François parle d’un «  devoir de civilisation [6]  ». C’est à partir de cet horizon de sens que l’on déplace la manière de traiter les causes structurelles des migrations et les personnes individuelles dans leur exil.

3/ L’unité de la famille humaine au défi des deux fondamentalismes : l’indifférence et les rhétoriques religieuses.

Enfin, François a ainsi témoigné du rôle irremplaçable des religions dans la lutte contre les deux fanatismes de notre époque qui blessent l’unité de la famille humaine : celui de l’indifférence et celui des rhétoriques fondamentalistes religieuses.

« Ne nous enfermons pas dans l’indifférence » a supplié le Pape. L’histoire nous invite à « un sursaut de conscience pour prévenir le naufrage de civilisation. » Depuis Fratelli tutti, sa lettre encyclique sur la fraternité et l’amitié sociale, le Pape cherche à faire monter d’un cran la conscience de l’unité de la famille humaine. Il appelle ainsi à «  une pensée communautaire. Comme nous avons besoin de cela dans les circonstances actuelles où des nationalismes archaïques et belliqueux veulent faire disparaître le rêve de la communauté des nations ! Mais - rappelons-le - avec les armes on fait la guerre, pas la paix, et avec l’avidité du pouvoir on retourne toujours au passé, on ne construit pas l’avenir [7].  »

François, assumant sa mission de responsable religieux, n’a pas d’autre exigence en conscience que de servir l’Evangile. A tous, il demande «  non pas de broder l’Évangile de paroles, mais de lui donner de la chair ; non pas mesurer la visibilité, mais nous dépenser dans la gratuité, croyant que « la mesure de Jésus est l’amour sans mesure [8]  ».
C’est le sens de la théologie de la Méditerranée, une théologie qui s’enracine dans le réel et de la présence agissante de Dieu dans l’histoire : écoute, dialogue, conversion, discernement, synodalité. Dans le droit fil de saint Paul VI, il sait que l’Eglise doit se faire conversation car Dieu est dialogue. C’est là que naît la fraternité. «  Nous avons besoin de fraternité comme de pain » dit encore le Pape. « Le mot même "frère", dans sa dérivation indo-européenne, révèle une racine liée à la nutrition et à la subsistance. Nous ne nous soutiendrons qu’en nourrissant d’espérance les plus faibles, en les accueillant comme des frères.  » Ainsi, l’homme se nourrit de la présence des autres, des échanges qu’il déploie avec d’autres. Pour éviter l’écueil des faux dialogues, François exhorte à «  abattre les préjugés, à guérir les blessures et conjurer des rhétoriques fondamentalistes. Faites attention à la prédication de tant de fondamentalismes qui sont à la mode aujourd’hui [9] !  »

A Marseille, le Pape François aura présenté un visage d’une Eglise dans le monde et pour le monde qui est riche de sa propre quête d’unité et de fraternité. C’est au fond ce qu’elle porte de plus grand. Elle vit de la promesse du Christ ressuscité de conduire l’Eglise à l’unité parfaite, à faire d’elle un ferment d’unité de l’humanité, pour que « tous soient un ». Pour cela, il est «  nécessaire de réfléchir sur le mystère de Dieu, que personne ne peut prétendre posséder ou maîtriser, et qui doit même être soustrait à tout usage violent et instrumental, conscients que la confession de sa grandeur présuppose en nous l’humilité des chercheurs [10].  »
Assurément, pour François, l’Eglise est riche de ce qu’elle cherche, de ce qu’elle espère et de ce qu’elle vit déjà dans la foi. Elle n’existe pas pour elle-même, mais pour restaurer au sein de la famille humaine l’espérance de goûter le bonheur d’être ensemble.

Notes :

[1Moment de recueillement au mémorial des disparus en mer, Notre Dame de la Garde, 22 septembre 2023.

[2Palais du Pharo, Marseille, Samedi 23 septembre 2023

[3Palais du Pharo, Marseille, Samedi 23 septembre 2023

[4Palais du Pharo, Marseille, Samedi 23 septembre 2023

[5Messe au Stade Vélodrome, samedi 23 septembre

[6Moment de recueillement au mémorial des disparus en mer, Notre Dame de la Garde, 22 septembre 2023.

[7Palais du Pharo, Marseille, Samedi 23 septembre 2023

[8Palais du Pharo, Marseille, Samedi 23 septembre 2023

[9Palais du Pharo, Marseille, Samedi 23 septembre 2023

[10Palais du Pharo, Marseille, Samedi 23 septembre 2023


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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