Le Pape François et la culture de la rencontre

Le Forum du « dialogue est et ouest pour la coexistence humaine » organisé sous le patronage de Sa Majesté le Roi du Bahreïn a vu le Pape François prononcer, le 4 novembre 2022, un discours [1] qui mérite toute notre attention.

Toujours fidèle à l’inspiration de Saint François d’Assise le frère universel, le Pape François intrépide promoteur du dialogue, s’efforce aussi de le mettre en pratique.
Sans s’arrêter sur sa santé et ses douleurs, il s’est rendu au Bahreïn, en artisan de la culture de la rencontre, de la voie du dialogue.

Le Pape François est conscient de vivre une époque où l’humanité, connectée comme jamais elle ne l’a été, est beaucoup plus divisée qu’unie.
Et cependant, il sait que « du ciel nous sommes une seule famille : non pas des îles, mais un seul grand archipel. C’est ainsi que le Très-Haut nous veut ».
Dès lors, tout son discours fut une exhortation à retisser des liens pour affronter « la mer amère de l’indifférence » avec ses vagues destructrices toujours plus tumultueuses qui risquent d’emporter tout le monde.

Dans ce domaine, il n’y a pas de miracle, il n’y a que des efforts et l’engagement des volontés pour chasser le spectre de l’affrontement.
Son constat est sévère, lucide et sans appel : « alors que la plus grande partie de la population mondiale se trouve unie par les mêmes difficultés, frappée par de graves crises alimentaires et écologiques, et par une injustice planétaire de plus en plus scandaleuse, par la plaie honteuse de la faim et le malheur du changement climatique, des puissants se concentrent dans une lutte résolue pour des intérêts partisans, exhumant des langages obsolètes, redessinant des zones d’influence et des blocs opposés ».
Les conséquences funestes de ces injustices ne peuvent être déjouées que si quelques-uns montrent « qu’une autre voie de rencontre est possible que celle des intérêts, de l’argent et des stratégies de pouvoir ».

« La maison commune est couverte de cendres et de haine parce que quelques-uns, au lieu de soigner et d’écouter le cri des pauvres, jouent un scénario dramatiquement enfantin avec le feu, avec des missiles, des bombes, avec des armes qui provoquent des pleurs et des morts. »

Précisons à présent pourquoi le Pape François est si attaché à la culture de la rencontre entre Occident et Orient.
C’est parce qu’il est convaincu que l’autre est précieux pour guérir les maladies de chacun.
« L’Occident pourrait trouver dans la civilisation de l’Orient des remèdes pour certaines de ses maladies spirituelles et religieuses causées par la domination du matérialisme.
Et l’Orient pourrait trouver dans la civilisation de l’Occident beaucoup d’éléments qui pourraient l’aider à se sauver de la faiblesse, de la division, du conflit et du déclin scientifique, technique et culturel. [2]
 »
Pour François les responsables religieux ne peuvent pas ne pas s’engager et donner le bon exemple. « Nous avons » dit-il « un rôle spécifique à jouer ».

Le Pape François a souligné trois défis. Ils concernent la prière, l’éducation et l’action.

La prière tout d’abord, qui touche le cœur de l’homme.
Il rappelle que « les déséquilibres qui travaillent le monde moderne, sont liés à un déséquilibre plus fondamental qui prend racine dans le cœur même de l’homme » (Gaudium et spes, n. 10).
Le plus grand danger réside donc dans l’inclination de l’être humain à s’enfermer dans l’immanence de son moi, de son groupe, de ses intérêts mesquins.
Cela existe depuis que l’homme est homme et, avec l’aide de Dieu, il est possible d’y remédier (cf. Lett. enc. Fratelli tutti, n. 166).
C’est pourquoi la prière, l’ouverture du cœur au Très-Haut, est fondamentale pour nous purifier de l’égoïsme, de la fermeture, de l’autoréférence, du mensonge et de l’injustice.
« Celui qui prie reçoit la paix dans son cœur et ne peut qu’en devenir le témoin et le messager ».
« L’homme religieux, l’homme de paix est celui qui, cheminant avec les autres, les invite avec douceur et respect à lever le regard vers le Ciel.
Et il porte dans sa prière les fatigues et les épreuves de tous.
 »
Cela conduit François a rappelé le primat de la liberté religieuse.
Ainsi « aucune forme de contrainte religieuse ne peut conduire une personne à une relation significative avec Dieu ». Toute contrainte est indigne du Tout Puissant.
Et François de poser son premier appel : « il ne suffit pas d’accorder des permissions et de reconnaître la liberté de culte, il faut atteindre la vraie liberté de religion. »
Chaque société, chaque croyance est appelée à s’examiner sur ce sujet.

Le deuxième défi concerne l’éducation et touche l’esprit de l’homme. Puisque « l’ignorance est ennemie de la paix », l’éducation est amie du développement.
Le principal défi consiste à « habiter la crise sans céder à la logique du conflit ».
La logique du conflit conduit toujours à la destruction, mais habiter la crise aide à penser et à mûrir. Pour cela il est nécessaire de savoir dialoguer avec patience, respect et dans un esprit d’écoute d’autrui.
Et François de poser son deuxième appel : il ne suffit pas de se dire tolérants, il faut vraiment faire de la place à l’autre, lui donner des droits et des opportunités.
Il y a selon François trois urgences éducatives : la reconnaissance de la femme dans le domaine public, dans l’instruction, dans le travail, dans l’exercice de ses droits sociaux et politiques ;
la défense des droits fondamentaux des enfants, et l’éducation à la citoyenneté qui « se base sur l’égalité des droits et des devoirs ».
Il suggère de bannir la référence aux minorités, synonymes d’isolement et d’infériorité, qui contrevient à l’égale citoyenneté.

Le troisième défi concerne l’action, et donc les forces de l’homme.
La haine, la violence et la discorde désacralisent le nom de Dieu.
L’homme religieux dit “non” au blasphème de la guerre et à l’utilisation de la violence. Et François lance son troisième appel : il ne suffit pas de dire qu’une religion est pacifique, il faut condamner et désigner les violents qui abusent de son nom.
Et il ne suffit pas non plus de prendre ses distances avec l’intolérance et l’extrémisme, il faut agir dans le sens contraire.

« Pour cela, il est nécessaire d’interrompre le soutien aux mouvements terroristes par la fourniture d’argent, d’armes, de plans ou de justifications, ainsi que par la couverture médiatique, et de considérer tout cela comme des crimes internationaux qui menacent la sécurité et la paix mondiale.
Il faut condamner ce terrorisme sous toutes ses formes et ses manifestations
 » (Document sur la Fraternité humaine), y compris le terrorisme idéologique. (…)

François appelle à nouer entre les religions des liens plus forts, sans duplicité et sans peur, au nom du Créateur qui nous a placés ensemble dans le monde comme gardiens des frères et des sœurs. Il a adressé un pressant appel pour que soit mis fin à la guerre en Ukraine et que de sérieuses négociations de paix soit engagées.

« Si nous, qui croyons au Dieu de miséricorde, nous n’écoutons pas les pauvres et ne donnons pas de la voix aux sans-voix, qui le fera ? » demande François. « Soyons de leur côté, œuvrons pour secourir l’homme blessé et éprouvé ! »

François sait que c’est en faisant inlassablement le bien que l’on attire sur soi la bénédiction divine. Il demande à Dieu d’éclairer nos pas et d’unir nos cœurs, nos esprits et nos forces pour être ensemble des prophètes de coexistence, des artisans d’unité, des constructeurs de paix.

[2Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence pacifique, 4 février 2019.

Le Pape François et la culture de la rencontre

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