Dans sa dernière lettre encyclique Fratelli Tutti, sur la fraternité parue en octobre 2020, le Pape François souligne le coût exorbitant de l’individualisme pour la vie sociale. Il s’interroge sur la manière de faire prévaloir le désir du bien commun sur l’intérêt individuel.
« Je viens encore souligner avec tristesse que « depuis trop longtemps déjà, nous sommes dans la dégradation morale, en nous moquant de l’éthique, de la bonté, de la foi, de l’honnêteté. L’heure est arrivée de réaliser que cette joyeuse superficialité nous a peu servi. Cette destruction de tout fondement de la vie sociale finit par nous opposer les uns aux autres, chacun cherchant à préserver ses propres intérêts ». [1] (…) Chaque société doit veiller à ce que les valeurs soient transmises, car, autrement, l’égoïsme, la violence, la corruption sous leurs différentes formes, l’indifférence et, finalement, une vie fermée à toute transcendance et emmurée dans les intérêts individuels sont véhiculés. » n°113
Dès mars 2015 en visite à Naples, François avait affirmé que « la corruption pue », et qu’elle est « une forme de blasphème ». Il écrira plus tard qu’elle est « un processus de mort ». A nouveau en 2017, la lutte contre la corruption dans le monde apparaissait un enjeu central pour Pape François. « La corruption doit être combattue avec force. C’est un mal basé sur l’idolâtrie de l’argent qui blesse la dignité humaine » disait François dans un tweet le 9 décembre 2017, à l’occasion de la Journée Internationale contre la corruption, organisée par les Nations Unies. Le Pape n’a jamais cessé de s’élever contre toute forme de corruption. Le 21 septembre 2017, il expliquait que la corruption « a une nature contagieuse et parasitaire », parce qu’elle « ne se nourrit pas de ce qui se produit de bien, mais de ce qui soustrait et vole ». Le Pape avait mis en garde contre la « banalisation du mal », en observant que « la corruption trouve toujours une façon de se justifier elle-même, en se présentant comme la condition normale de celui qui est fourbe et cherche une voie facile pour atteindre ses propres objectifs ». En 2021, les propos s’adressent spectaculairement à l’Église et à ceux qui la dirigent car c’est aussi dans l’Église elle-même que le Pape entend pourfendre la corruption.
En 2020, le Vatican avait présenté un nouveau protocole d’accord sur la lutte contre la corruption. La transparence, le contrôle centralisé et la concurrence dans les procédures d’attribution devaient permettre une meilleure gestion des ressources et une réduction des risques de corruption. Le Secrétariat pour l’Économie mettait en œuvre des règles pour identifier les risques de corruption, intensifier la transparence et la concurrence dans les marchés publics du Saint-Siège et du Vatican.
François entendait prévenir et de combattre la corruption à l’intérieur et à l’extérieur de l’État de la Cité du Vatican. La lutte contre la corruption, en plus de représenter une obligation morale et un acte de justice, permet également de lutter contre le gaspillage dans un moment difficile en raison des conséquences économiques de la pandémie, qui touche le monde entier.
François veut écarter la menace que représente l’argent, conscient que la suspicion et la tentation de corruption existent aussi sur le clergé. Il impose par un décret sur la gestion des finances au Vatican du jeudi 29 avril, de nouvelles règles contre la corruption à l’intérieur même de la Curie. Le Saint Siège ne doit pas déroger aux pratiques des autres institutions.
Désormais François impose à tous les responsables de la Curie – des préfets de dicastères aux vice-directeurs de remplir, dès leur entrée en fonction, une déclaration d’intérêts dans laquelle ils attestent notamment de ne jamais avoir été condamné dans aucun pays, ou de n’avoir bénéficié d’aucun système d’amnistie ou de prescription. Tous ces chefs de la Curie, « y compris les cardinaux », précise le texte, devront promettre de ne pas faire l’objet d’une procédure pénale en cours pour corruption, fraude, terrorisme, blanchiment d’argent ou exploitation de mineurs. Ils auront aussi interdiction de détenir « directement ou indirectement », la moindre participation « dans une entreprise ayant son siège dans un paradis fiscal ». Ils devront aussi assurer n’avoir aucun bien – meuble ou immeuble – par le biais d’une activité illicite. Plus largement, ils auront aussi interdiction de détenir « une quelconque participation » « dans des sociétés ou des entreprises opérant à des fins et dans des secteurs contraires à la Doctrine sociale de l’Église ».
Mise à jour tous les deux ans, la déclaration contenant ces informations, verra sa véracité être contrôlée à l’initiative de la Secrétairerie pour l’Économie. En cas de tromperie, le déclarant pourra être révoqué.
Le pape vise la « corruption grise » en interdisant à tous les membres de la Curie, aux salariés de la Cité du Vatican et à ceux de tous les organes qui y sont associés, d’« accepter ou solliciter, pour eux-mêmes ou pour des personnes autres que l’entité dans laquelle ils travaillent, en raison ou à l’occasion de leur fonction, des cadeaux, des présents ou d’autres avantages d’une valeur supérieure à quarante euros ».
François ne renonce pas à purifier l’Église, qui doit cesser d’être un monde clos sur lui-même. Les accommodements raisonnables ne seront plus à l’ordre du jour. La Curie doit être exemplaire. La Parole que l’Église doit porter au monde, François entend aussi la faire retentir pour elle-même et susciter sa conversion, car l’Église est le signe visible de la nécessité d’une conversion jamais achevée et toujours à reprendre.
Notes :
[1] Lettre enc. Laudato si´ (24 mai 2015), n. 229 : AAS 107 (2015), p. 937.