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LE MAGISTERE NUMERIQUE : QUAND LES RESEAUX SOCIAUX REDEFINISSENT LA FOI DES JEUNES

À l’heure où l’Église catholique en France observe une forte hausse des baptêmes en 2025 (10 384 adultes seront baptisés lors de la nuit de Pâques, contre 7 135 l’an passé) et à l’heure où les réseaux sociaux deviennent les principaux lieux d’expression, de transmission et d’affirmation des identités, une nouvelle forme d’autorité émerge : celle du magistère numérique.

Laurent Stalla-Bourdillon, prêtre et directeur du Service pour les Professionnels de l’Information (S.P.I), analyse la manière dont les plateformes comme TikTok ou Instagram, largement dérégulées, s’imposent comme des espaces de socialisation spirituelle et d’élaboration de normes religieuses. Si l’Esprit-Saint sait se frayer des chemins jusque dans les espaces numériques, il appartient à l’Eglise catholique d’assurer l’accompagnement de ces jeunes.

S.P.I : On constate une très forte progression des baptêmes de jeunes adultes en France en 2025. Dans le même temps, les réseaux sociaux se sont taillés une place importante dans nos vies. Y a-t-il un rapport entre les deux phénomènes ?

Père Laurent Stalla-Bourdillon : En effet, depuis deux décennies, l’émergence des réseaux sociaux a profondément transformé le paysage médiatique, devenant des vecteurs majeurs d’accès à l’information. En France, 78 % de la population utilise les réseaux sociaux, avec une adoption massive chez les jeunes : 96 % des 18-24 ans sont membres d’au moins un réseau social. Ces plateformes, largement non régulées, offrent à chacun la possibilité de s’exprimer librement, créant ainsi un espace où la quête spirituelle peut s’afficher. Cette démocratisation de l’accès à l’information et ces espaces de liberté d’expression ont permis l’émergence de « leaders d’opinion », des « influenceurs » notamment dans le domaine religieux. Ils peuvent utiliser ces canaux pour diffuser leurs messages en dehors de tout cadre institutionnel.

S.P.I : Diriez-vous que les contenus numériques ont des effets sur la quête spirituelle ?

Je le pense en effet. Il se produit un phénomène de réciprocité dynamique entre une quête de sens et l’accès inédit à des contenus religieux sur les réseaux sociaux. TikTok, Instagram ou YouTube exposent les jeunes à une diversité de contenus religieux, à des témoignages personnels et à des enseignements théologiques. Ces récits numériques éveillent leur curiosité spirituelle et suscitent un nouvel intérêt pour la foi. Cette exposition constante à des récits de foi et à des pratiques spirituelles influence leurs perceptions et suscite un intérêt renouvelé pour les identités religieuses et leur liberté d’expression. Une récente enquête a montré que « les catéchumènes sont 78% à considérer que les réseaux sociaux ont joué un rôle dans la découverte ou l’approfondissement de leur foi. Et dans le détail, ils sont même 46% a estimé que cela a beaucoup compté pour eux. [1] »

S.P.I : En quoi ce phénomène concerne-t-il toute la société ?

La disponibilité de contenus religieux sur les réseaux sociaux 24h/24h, amène une partie de la jeunesse à remettre en question la conception traditionnelle de la laïcité. Beaucoup aspirent à une version plus inclusive, mieux adaptée à une société plurielle. La conception traditionnelle de la laïcité posant une séparation entre sphère publique et sphère religieuse, est peu comprise par la jeunesse française. Certains jeunes semblent aspirer à une laïcité plus ouverte, qui reconnaît et intègre la diversité des convictions religieuses et culturelles. Cette évolution pose des défis importants pour les institutions éducatives et politiques. Elles seront appelées à repenser la manière dont la laïcité est enseignée et appliquée dans une société multiculturelle et plurireligieuse.

S.P.I : Vous parlez d’un « magistère des technologies ». De quoi s’agit-il ?

Au-delà de la diffusion, les réseaux sociaux imposent de nouveaux standards de foi et de pratique. L’authenticité, l’engagement personnel, et parfois même une quête de radicalité redéfinissent l’orthopraxie. Autant d’aspects qui influencent les attentes envers les institutions traditionnelles. La quête de radicalité n’est jamais très loin. La consommation de contenus religieux sur les réseaux sociaux exerce une influence normative puissante sur les comportements. Nous connaissions ces effets de « mode » sur le plan des tendances commerciales. Désormais, ils façonnent aussi les croyances des individus, et parfois en dehors de tout cadre rationnel. C’est ce phénomène que je qualifie de « magistère des technologies ». Il se traduit particulièrement dans les processus de radicalisation, où des contenus audiovisuels diffusés en ligne jouent un rôle décisif. L’origine des contenus proposés sur les plateformes sont complexes à identifier. La fiabilité des enseignements n’est jamais garantie. Certaines officines diffusent une vision binaire du monde, construite sur un moralisme simpliste « bien-mal », « permis-défendu », « bons-ennemis », …

S.P.I : Diriez-vous que cela représente un danger ?

Disons qu’il y a bien un piège dans la radicalité algorithmique. Des vidéos bien réalisées, aux codes proches des jeux vidéo, séduisent les jeunes et propagent des visions du monde et des religions qu’ils ne sont pas en mesure de corriger. Ce type de narration peut diffuser des messages négatifs sur d’autres traditions ou encore catalyser une radicalité fondée sur un idéal d’intégrité et de pureté. C’est sur ce tandem qu’ont prospéré tous les intégrismes religieux. Plus ces vidéos sont attrayantes pour les jeunes publics, plus ils s’empressent d’en assurer la viralité. Le risque pour l’attrait de contenus simplistes ou extrêmes et leur capacité à nourrir des radicalités sous couvert de vérité, appellent une grande vigilance. Les algorithmes des réseaux sociaux, conçus pour maximiser l’engagement, favorisent la diffusion de contenus émotionnels et polarisants. Cette dynamique peut amplifier des discours extrêmes et contribuer à la fragmentation du débat public. Dans le contexte religieux, cela peut entraîner des divisions au sein même des communautés, y compris au sein de l’Église catholique entre différents courants.

S.P.I : Comment réagissent les institutions religieuses ?

Nous le verrons dans peu de temps. Face à ce « magistère des technologies » qui impose de nouvelles normes et attentes, il faudra bien que les institutions traditionnelles prennent aussi la parole. Le numérique permet d’imposer ses propres normes, parfois en contradiction avec celles des institutions [2]. Cette autorité des technologies cachent des instances qui peuvent être hostiles aux institutions religieuses, et devraient être prises très au sérieux car ces normes peuvent entrer très rapidement et violement en conflit avec les enseignements établis. Si les réseaux sociaux sont devenus des lieux d’« autoformation spirituelle », où se forgent de nouvelles formes de religiosité et de perceptions des religions, il ne faut pas que l’amitié et la fraternité disparaissent de ces espaces, au contraire il est essentiel de les promouvoir.

S.P.I : Les diocèses d’Ile-de-France viennent d’annoncer la tenue d’un concile pour accompagner les nouveaux baptisés. Cette initiative est-elle liée à la formation spirituelle des jeunes ?

Certainement. Il est tout à fait crucial de comprendre et d’analyser ce phénomène d’attrait pour le baptême et de développer des parcours de formation et d’éducation. Il s’agit de contrer l’influence potentiellement néfaste de contenus en ligne et de promouvoir une utilisation responsable des technologies numériques. Les institutions religieuses sont appelées à adapter leur approche pastorale. Il ne s’agit plus seulement de transmettre des enseignements, mais de dialoguer avec une génération qui construit sa foi à travers des interactions numériques. Comme le soulignait Mgr Olivier de Germay, archevêque de Lyon : « il ne s’agit pas simplement d’imaginer à quelques-uns des recettes pour les « garder » après le baptême. Ce sont nos communautés paroissiales tout entières qui doivent prendre conscience de cette mission collective et mettre en place des processus d’incorporation, avant comme après le baptême [3]. » La réponse des communautés sera décisive pour former ces jeunes à discerner dans un univers désintermédié.

S.P.I : Quel regard portez-vous sur l’avenir de notre société traversée par des inquiétudes et des revendications identitaires ?

L’essor des baptêmes chez les jeunes adultes témoigne d’une indéniable quête spirituelle. Ces jeunes sont en recherche d’un idéal, d’une identité spirituelle qui les aidera à se construire. Ce processus est désormais indissociable de l’influence des réseaux sociaux et sous l’influence des réseaux sociaux. A l’heure où les plateformes gagnent toujours plus d’audience, elles redéfiniront des normes et des pratiques religieuses et imposeront aux institutions traditionnelles de s’adapter à cette nouvelle autorité numérique. Encourager à l’étude des diverses traditions religieuses est essentiel. Toutes les institutions religieuses sont appelées à investir dans ces nouveaux territoires numériques pour y porter une parole authentique et structurée, capable d’apprendre à dialoguer avec les aspirations contemporaines. Sans doute faut-il aussi souligner l’importance d’aider la jeunesse à mieux comprendre la laïcité. Elle est la clé d’une société respectueuse de la liberté de conscience.

Notes :

[1Enquête menée par Aleteia et Famille Chrétienne auprès de plusieurs centaines de catéchumènes en France. Lire ici

[2En mars dernier, le président de la grande mosquée de Strasbourg a publié un communiqué condamnant avec vigueur la présence d’une jeune tik-tokeur musulman récitant une sourate du Coran dans une église comme une offense intolérable et provocation insoutenable. Lire ici


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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