En venant en Corse, c’est un esprit du christianisme qu’a rejoint le Pape François le dimanche 15 décembre 2024. Des expressions de la foi populaire d’antan perdurent en Corse alors qu’elles furent critiquées sinon balayées sur le continent, par un rationalisme de bon aloi. La foi catholique pour être admise dans la modernité mondialisée devait s’être débarrassée de ses illusoires doctrines et de ses dévotions douteuses, réunies sous le vocable condescendant de « piété populaire ». Mais la Méditerranée ne se laisse pas dépouiller de ses traditions sans les défendre. C’est pour quoi François prend part au colloque sur « la religiosité populaire en Méditerranée ». Dès lors, en venant dans le paysage corse, une semaine seulement après le faste de la réouverture de Notre Dame de Paris, le contraste ne pouvait qu’être saisissant. Et il le fut. Alors que les autorités civiles et religieuses avaient somptueusement soigné la mise en scène de leur propre pouvoir sous les voûtes de Notre-Dame de Paris, François regarde le pouvoir du peuple. Aux lieux de pouvoirs, le Pape préfère les périphéries et chérit les petits.
La piété populaire est, pour François, le liant des peuples qui ne vient que de leur foi, de leurs croyances superstitieuses parfois, mais qui relèvent du cœur et non d’abord de la raison. La piété populaire lui semble une réponse au rationalisme desséchant imposant des raisons de croire et surtout de ne pas croire. Citant le Pape Paul VI, il a tenu à souligner que « se trouve dans la piété populaire une force activement évangélisatrice que nous ne pouvons pas sous-estimer : ce serait comme méconnaître l’œuvre de l’Esprit Saint » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 123 ; n. 126). Loin des idéologies, elle exprime ce désir intime de croire ce que le cœur veut croire, et de dire ce que le corps ne peut taire. La piété populaire contient aussi ce pouvoir de rêver que le Pape rappelle en toute occasion. Elle est l’antidote aux individualismes et à l’indifférence qui gagne les sociétés de consommation. Elle n’est pas toujours sans risques de récupération identitaire ou sans équivoque puisque des pratiques traditionnelles sont dénaturées à des fins commerciales. François veut libérer l’esprit du carcan de la mondanité, de l’autoritarisme pour laisser parler son cœur et ses aspirations. Il se confronte ainsi à une laïcité sourde à la vie spirituelle des citoyens, à la main de l’autorité politique. Afin de rendre la parole aux peuples dans les sociétés comme dans l’Eglise, François propose de les écouter, de regarder ce qu’ils font. C’est donc une belle respiration qu’offre, à ses yeux, la piété populaire dans un monde désenchanté par son pouvoir technicien.
L’effacement de la piété populaire, ainsi déclassée par un progressisme libérateur des archaïsmes, aura finalement participé à la sécularisation de la société et au cléricalisme dans l’Eglise. C’est donc bien en accordant de la valeur aux aspirations intimes des cœurs, que l’on révèle un Dieu proche et sensible aux peines. La piété populaire représente pour François le ferment de résistance au délitement des peuples et à la soumission des peuples aux autorités religieuses et civiles. Même si elle demeure inachevée dans son expression et sa cohérence, la piété populaire demeure un langage de la foi au Dieu vivant, compatissant et miséricordieux. Nous assistons à l’un de ces mouvements de balanciers qu’offre le temps long de l’histoire. Une société solidaire se perpétue dans une sociabilité faite de rites simples, accessibles à tous.
La crédibilité du message chrétien se trouve aujourd’hui dans la lutte contre la désagrégation des sociétés, par le chemin de la fraternité. C’est l’obsession du Pape François. L’ile de beauté conserve aux yeux du Pape, à tort ou à raison, un de ces ferments de l’espérance qu’il sera allé cueillir en pèlerin pour préparer son entrée dans le Jubilé 2025 auquel il a donné le thème de « pèlerins de l’espérance ». Il restera alors au cours de cette année de grâce à replonger dans la foi au Christ Sauveur, fondement de toute piété authentique.