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L’urgence d’éduquer aux religions

Dans son livre « Education ou barbarie », Bernard Charlot, professeur émérite des sciences de l’éducation, rappelait l’urgence d’enseigner ce qu’est la nature humaine entendue comme une essence de l’homme inhérente à chaque individu. La philosophie contemporaine a une grande responsabilité dans l’errance actuelle de notre société sur la question de la condition humaine. L’éducation a pour objectif d’extirper de l’homme ce qui le tire vers l’animalité et d’actualiser en lui ce qui définit sa vocation la plus haute. Hélas, elle semble se refuser obstinément à considérer la dimension spirituelle de l’homme. Le meilleur de l’éducation consiste à dévoiler la part d’inachevé dans notre humanité. Une part qu’il revient à chacun d’accomplir librement et en conscience. Dès lors, la meilleure éducation est celle qui ne se détourne pas de cette responsabilité.
En effet la question de la définition de l’être humain ne cesse de rebondir. Les indices se multiplient de « ce que l’on peut appeler un retour de la barbarie : terrorismes, bombardement de civils, obstacles au sauvetage de migrants en risque de noyade, … lynchages, féminicide, retour d’un racisme ou d’un antisémitisme assumé, etc. Pendant que les discours qui dominent la scène de l’éducation focalisent l’efficacité et la performance, d’autres, plus ou moins fanatiques, inspirés par la conviction religieuse, nationaliste, raciste, cherchent à imposer une hiérarchie de l’humain. Dès lors qu’il y a des degrés de l’humain, vont apparaître, implicitement ou explicitement, des sous-humains, qui peuvent être déclarés non-citoyens d’un pays où, pourtant, ils sont nés, ou indignes de vivre car ils n’honorent pas le vrai Dieu, ou susceptibles d’être violées, car elles n’avaient pas à se trouver là à ce moment-là, etc… Avec toujours cette conséquence : qui n’est pas vraiment humain ou ne l’est qu’à faible teneur peut, et éventuellement doit, être éliminé… »
Ce 19 juin 2024, à la fin du dernier cours de l’année que je donnais à des enseignants suppléants dans l’Enseignement catholique, une jeune femme vint me trouver pour me remercier d’avoir expliqué ce qu’est le judaïsme, son origine, sa signification, l’identité juive de Jésus, et celle du Messie que les juifs attendent… Elle m’avoue qu’elle n’ose plus « le dire » dans son école. Quoi ? Qu’elle est juive ! Stupeur ! Plus tard cette stupeur s’est muée en colère en apprenant l’agression d’une jeune enfant de 12 ans, violée parce que juive. Les jeunes violeurs à peine plus âgés, n’ont eu besoin de personne pour s’adonner à leur sadisme. Ils ont agi sur fond d’un imaginaire antisémite qui se propage à grande vitesse dans la société. Là, la responsabilité des politiques est engagée. Qu’est-ce que l’éducation peut faire pour qu’une telle faillite ne se reproduise plus ?
Certes, les condamnations politiques pleuvent. Elles ne traduisent que l’aboulie totale d’une classe politique captive d’une laïcité paresseuse, incapable de défendre ce qui doit être défendu du judaïsme et des juifs ! Il ne suffit plus d’être « à côté des juifs », il faut être capable d’expliquer ce dont le judaïsme est le nom. Il faut pouvoir rendre compte de la singularité magnifique de cette identité religieuse. Il faut pouvoir expliquer sa signification comme celle des autres religions. Elles existent en vis-à-vis des autres et ne répondent qu’à une même quête : le sens ultime de la vie humaine. Or les identités religieuses sont renvoyées à des communautarismes au lieu d’ouvrir aux questions essentielles. L’énigme de la condition humaine est soustraite à la pensée contemporaine. C’est la vie elle-même que l’on préfère arrêter, au lieu d’en chercher le sens. La réduction de l’être humain à sa seule corporéité biologique, excluant de facto sa dimension spirituelle de la nature humaine, est une violence faite à la conscience humaine, dont nous ne mesurons pas les effets. Ils sont pourtant là sous nos yeux, dans les drames quotidiens, lorsque des jeunes ne peuvent plus résister à la bestialité qui les possède. L’étude des religions est devenue une urgence absolue si nous voulons prévenir les formes de barbaries qui s’annoncent dans les visions neuronales, transhumanistes ou animalistes de l’être humain. Davantage de religions ne rend pas plus violent, c’est l’ignorance qui est en cause. La présentation caricaturale des religions dans notre société, vues comme des archaïsmes liberticides, a atteint une forme pathologique qui blesse tous les croyants. Lorsqu’elles ne sont pas intégristes, les traditions religieuses sont des traditions d’études. Seule l’étude permet de libérer les esprits des préjugés désolants qui se répandent sur le terrain de l’ignorance et de l’exclusion.
Qui osera dire aujourd’hui que sans la vie spirituelle dont les religions sont les témoins, la société court le risque de s’effondrer ? Sans une sérieuse considération pour la vie spirituelle de la jeunesse, la violence ne fera que se répandre. Elle ne pourra résister à l’effondrement dans le totalitarisme techno-économique qui étouffe déjà les peuples. C’est elle, l’ignorance, qui cause tant de malheur dans notre pays. L’absence de culture religieuse ne rend pas plus libre, elle rend haineux. L’ignorance produit son fruit de violence, parce qu’elle suscite la peur. L’énigme que nous sommes tous, se reporte sur l’étrangeté de l’autre. Cet enchaînement est hélas bien connu : l’ignorance produit la peur, qui produit la violence. A l’inverse, la connaissance suscite l’estime, qui ouvre à l’amitié. N’avons-nous pas sciemment cultivé l’ignorance religieuse de notre jeunesse ? En la privant de la connaissance des diverses traditions spirituelles, nous l’avons livrée aux sectarismes des conspirateurs politiques, qui avancent masqués sous la protection de la liberté constitutionnelle de religion. Pour que vive la liberté de conscience, il faut exiger une formation des consciences, qui repose elle-même sur l’étude critique, l’écoute et le dialogue. L’étude véritable des religions n’est pas faite d’ennuyeuses notions scolaires perdues dans les programmes. Elle est une compréhension intérieure des questions spirituelles dont les traditions religieuses sont les gardiennes. L’étude éveille l’intelligence, rend sage, et donne de la saveur aux rencontres.
Privées de leur signification profonde, livrées à un personnel politique devenu inculte, les identités religieuses finissent par suinter l’hermétisme et être captées par des idéologies politiques. Il est temps de sauver les religions des communautarismes qui les retournent en armes de combat politique. Il est temps de dénoncer l’islamisme minoritaire qui prend en otage la liberté de conscience des musulmans. Il est temps de dénoncer un sionisme ultra-décadent qui prend en otage le judaïsme, sa présence prophétique et expose à la violence tous les juifs du monde. Il est temps de dénoncer l’intolérance hindouiste qui cultive la haine de l’islam et des chrétiens au sein du pays le plus peuplé au monde. Il est temps enfin de sortir le christianisme de sa léthargie où il ne semble bon en Europe qu’à célébrer les anniversaires de ses cathédrales. Le chaos du monde est avant tout un chaos de la pensée et une corruption phénoménale des esprits. Dans les dernières lignes de son essai « le Hasard et la Nécessité » Jacques Monod décrit l’impasse tragique de l’homme contemporain : « L’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’univers d’où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n’est écrit nulle part. (…) C’est bien là l’homme perdu et inquiet qui doit faire face à la signification de sa vie. »
La difficulté qui surgit devant l’homme moderne lorsqu’il veut se rassurer sur le sens de son aventure, est qu’il n’a pas d’autre valeur à affirmer que lui-même. Il se trouve devant une alternative : ou bien faire crédit à l’excellence de sa nature et à la faveur de son destin, mais cette confiance est toute gratuite et se heurte à tout ce que l’histoire confuse de ce temps révèle de possible inhumanité dans l’homme – « l’humanité, dit brutalement André Suarès, n’est pas naturelle à l’homme » - ou bien rejoindre un ordre de valeurs transcendantes à l’humain, pour justifier l’espoir dans une orientation probable des évènements vers le salut de l’espèce. Dieu étant exclu, il faut alors parler de l’Esprit, ou de l’Idée, ou de l’évolution créatrice, ou faire appel à quelque autre notion qui implique un élan rationnel dans l’histoire, une lumière sur l’histoire. L’espoir, en effet, comment le nourrir encore, si la vie sur la terre n’est, selon l’expression de Jean Rostand, que « l’aventure du protoplasme » ? (…) Il n’est pas exagéré de dire que cette idée obsède la conscience de l’homme du XXème siècle, et que l’humaniste lui-même n’est pas exempt d’inquiétude. « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » - on a souvent répété le cri désabusé que poussait Valéry en 1919 ; on connaît moins ces lignes d’une lettre qu’il adressait à Duhamel à la même époque, parlant de son état d’esprit pendant la guerre : « je m’assimilais à ces moines du premier âge qui écoutaient le monde civilisé autour de leur cloître crouler, qui ne croyaient qu’en la fin du monde ; et toutefois, qui écrivaient difficilement, en hexamètres durs et ténébreux, d’immenses poèmes pour personne. »
Réduit au protoplasme, privé de sa vocation au bonheur, censuré dans ses aspirations à la vie éternelle, l’élève n’a plus d’horizon digne de sa nature humaine. Son éducation se borne à devenir technique et notionnelle. Elle doit retrouver sans attendre, son essence même, celle d’une grande œuvre spirituelle. C’est l’éducation qui dévoile les trésors cachés en l’homme, et qui montre l’homme montre Dieu. Contrairement à ce que craint notre société laïque, il n’y a plus à hésiter : il faut amener Dieu à l’école non comme un intrus venant de l’extérieur, mais comme un mystère caché à l’intime de chaque élève. Ce n’est pas nous qui allons amener Dieu à l’école, nous allons montrer qu’il nous précède à l’intime de chaque élève, faisant de chacun un chef-d’œuvre sacré. C’est dans l’humanité même de l’élève que se trouve le mystère divin. Cette option a été abdiquée avec trop de facilité. C’est pourtant dans cette lumière seulement que l’élève s’éveille à sa dignité de personne. Or, cette lumière est tenue à l’écart. Les élèves sont enfermés dans l’étroitesse de leur corporéité, ils sont calculés dans la prédictibilité de leur comportement. Telle est la barbarie inconsciente qui ressort en violence. L’abrutissement sera bientôt total, lorsqu’un homme cessera de parler à un autre homme, préférant parler à une machine et écouter sa voix digitale sans âme. Il faut reconduire les élèves à la grâce de leur être-là. Ce temps désiré du réveil spirituel dans l’éducation doit venir afin que l’humanité n’accélère pas sa chute et que « l’abîme se repeuple » .


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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