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L’uniformisation des médias et du langage par les technologies

Sous l’effet du développement des outils numériques, tous les médias finissent par se ressembler. Ils prennent tous la forme d’un écran ! Tous les hebdomadaires, les quotidiens, même les radios ou les télévisions disposent depuis longtemps de sites internet consultables avec ou sans abonnement, et tous ces médias se consultent finalement sur écran. L’écran diffuse de l’information partout et tout le temps. Il aspire ou neutralise les magazines papiers et le volume des journaux vendus en kiosque continue à baisser inexorablement. L’écran offre de l’image, rien que de l’image. Il mobilise l’attention de la vision, et moins celle de l’audition. Il joue sur la pulsion scopique : tout voir, tout savoir. Scroller encore et toujours… La spécificité des médias se dissout dans l’uniformisation imposée par la technologie. Ce conditionnement de la consommation d’information par l’écran du smartphone est un fait majeur de notre époque.

Les systèmes d’exploitation dictent non seulement les formats de l’information sur écran, mais aussi les mots et les discours. Qu’il s’agisse de moteurs de recherche ou d’IA génératives de textes, ce sont des algorithmes qui décident des bons mots à utiliser pour être référencé, pour être compris par la machine. La machine décide du langage et réapprend à parler aux êtres humains. Parlez-vous le « langage machine » ? L’usage de l’outil commande une nouvelle manière de parler, il impose un langage, un vocabulaire. Ne serait-ce que « les prompts » : l’usage d’une machine passe désormais par une commande textuelle ou vocale. On ne parle plus pour être compris par les autres, mais surtout par la machine. Demain, après notre langue maternelle, nous aurons tous appris à parler la langue fonctionnelle, le langage machine. Elle sera notre première interlocutrice partout et tout le temps, tant nous sommes comme hybridés aux smartphones. Elle sera surtout notre interface permanente avec le monde réel, nous y reviendrons.

L’outil impose pour son usage, une adaptation pratique. C’est vieux comme le premier outil : nous fabriquons l’outil qui en retour « transforme » nos habitudes. Avec 66 % de la population mondiale sur internet, 92 % pour la France, avec 8,6 milliards de smartphones dans le monde, une peau numérique a fini par nous absorber et recouvrir notre monde. La peau de ce corps numérique a besoin de respirer. Elle le fait par les pores des milliards d’écrans qui viennent respirer dans nos psychismes, nos consciences assoupies. Nous sommes de plus en plus longtemps en interaction manuelle ou verbale avec les smartphones. A la fin, c’est l’appareil qui fixe le langage adéquat pour se faire obéir ! Ce n’est plus un « locuteur-émetteur » qui apprend et façonne un « auditeur-récepteur ». L’auditeur, la machine, commande au locuteur, son propriétaire. Voilà l’effet vertigineux de la révolution technologique.

En regard de la Parole biblique, c’est une parfaite inversion des rôles. « Parle Seigneur ton Serviteur écoute » (1 Samuel 3,10), « Écoute Israël, le Seigneur est l’unique… » (Deutéronome 6,4) Toute la Bible n’est qu’un appel à l’écoute. L’oreille qui écoute, voit le cœur s’ouvrir, s’adoucir et se transformer peu à peu. L’écoute signifiait un bien salutaire, pour croître et grandir. Pour voir, pour comprendre et choisir en conscience, il fallait d’abord écouter la Parole de Dieu. A la Révélation biblique nous avons préféré la Révolution technologique. La machine est programmée pour dévorer votre attention et faire votre bonheur en apaisant vos angoisses existentielles. Encodée pour répondre à un certain langage, elle vous apprend à parler, comme une mère à ses enfants. Cette matrice maternelle apprend de vous, à force de questions. Elle mémorise votre vie, elle vous profite et vous profile à défaut de vous aimer. La machine ne répond qu’à son langage propre, à des commandes préfixées. Autrement dit, la machine ne peut jamais obéir vraiment, c’est-à-dire aller vers l’inconnu, là où elle ne sait pas déjà ce qui vient. Elle n’obéit qu’en apparence, car obéir suppose la confiance face à l’inattendu. La machine ne répond qu’à ce qu’elle sait déjà, à des probabilités, des corrélations. Elle ignore le risque, car elle n’a aucun enjeu personnel. De fait, elle n’est pas une personne, en dépit de tous les progrès dans la simulation et les efforts de ressemblance.

Notre champ lexical se modèle peu à peu sur un registre de mots-clefs intégrés aux algorithmes. Le chercheur Frédéric Kaplan a mis en lumière ce marché linguistique qui s’est installé tel un « capitalisme linguistique » avec sa Bourse des mots. Les algorithmes poussent à utiliser les mots les plus populaires, tandis qu’un mot trop original rapportera peu financièrement. Que devient l’homme lorsqu’on le prive de son langage propre ? Dans quelle prison mentale l’enferme-t-on ? La prédiction des mots les plus probables s’accompagnera de la diffusion d’un discours normé, suggérant de réemployer ce langage dans les discussions humaines. Nous savons qu’il y a des modes aussi dans le langage, en particulier chez les jeunes. Les machines vont-elles nous soumettre aux codes de la parole-machine ? Une parole « standardisée correspondant à la moyenne des messages écrits, au détriment des expressions singulières ».

Alors la solution est simple : il faut retrouver le sens de la discussion, de la rencontre sans intermédiation technique. Retrouver la personne en chair et en os à qui parler, avec qui parler, avec qui respirer pour goûter l’horizon de la promesse de l’existence que la machine ne connaît pas. Éteindre l’écran. Ouvrir et lever les yeux. Contempler et écouter ce qui existe vraiment. Replonger dans la littérature et les poétes d’antan. Reprendre un livre. Reprendre des livres. Aller à la bibliothèque. Replonger dans une Bible. Ouvrir le livre d’Isaïe et lire : « Venez discutons » dit le Seigneur. (Isaïe 1,18).


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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