Alexis Chryssostalis, journaliste : « Vous dites quelque part : « Lorsque la religion devient politique elle fait du social. Dieu n’est plus un dieu mystique mais un dieu juridique ».
Bertrand Vergely : Je crois qu’il faut bien distinguer deux types de pensée. Il y a la véritable pensée qui est la pensée mystique et puis il y a la pensée qui est la pensée politique. La pensée politique est marquée par trois éléments : le pragmatisme, l’utilitarisme et le cynisme. C’est-à-dire c’est la pensée de l’homme déchu qui réduit le monde au monde matériel et qui pense uniquement les choses en termes de rapports de forces et de rapports de violence. L’enseignement du Christ nous libère totalement de la pensée politique et nous amène dans la pensée poétique, la pensée méditative et la pensée mystique. Le drame que connait l’Occident, c’est que l’Occident a perdu sa religion. C’est-à-dire la religion est devenue la religion sociale. Dieu a été remplacé par l’homme, le monde céleste a été remplacé par le monde matériel et nous évoluons dans un monde où tout est dominé par l’utilitarisme et les rapports de force dans lesquels se développe l’utilitarisme.
Donc en ce sens le religieux vécu est une expérience toujours personnelle et intérieure qui nous permet de revenir à ce qu’on appelle la vertu de religion qui est de faire religieusement les choses c’est-à-dire de toute son attention. Donc être religieux c’est être un homme attentif.
Malheureusement les religions telles que nous les connaissons sont devenues des systèmes de pouvoir, dans la course au pouvoir et l’appropriation du pouvoir qui fait des ravages à travers la planète depuis des siècles. La question du Christ, extraordinaire, est de nous montrer qu’une autre religion est possible. Je pense qu’il est mort à cause de ça. Pourquoi ? Parce que les systèmes de religion traditionnelle qui sont des systèmes d’appropriation violente du trésor qu’est le trésor mystique et bien ne supporte pas d’entendre parler qu’une autre religion puisse exister que la religion du pouvoir.
L’Occident à travers l’Eglise catholique a voulu sauver la civilisation et pour sauver la civilisation, on peut dire qu’une étrange transformation s’est faite, c’est-à-dire que le christianisme s’est plié à l’armée romaine, il s’est plié à l’humanisme et il s’est plié au social. Ce n’est pas l’armée romaine qui est devenue chrétienne, c’est le christianisme qui est devenu une armée romaine. Ce n’est pas l’humanisme qui est devenu chrétien, c’est le christianisme qui est devenu humaniste. Ce n’est pas le socialisme qui est devenu chrétien c’est le christianisme qui est devenu socialiste.
Alors pourquoi ?
Parce que l’Occident a perdu de vue l’idée de la vie divine, et la vie divine c’est quoi ? C’est la vie du moine. En disant le véritable humaniste, le véritable guerrier, le véritable homme social, c’est l’homme qui, vivant de l’intérieur, laisse Dieu vivre à l’intérieur de lui. Et donc l’expérience de Dieu, la théologie mystique, Vladimir Lossky le décrit très bien, c’est un dialogue d’être à être, de conscience à conscience, de cœur à cœur qu’il peut y avoir à l’intérieur de l’homme. La foi dans l’Eglise, c’est de dire que pour transformer le monde et résoudre les problèmes de la planète, par exemple l’écologie, c’est par là qu’il faut passer et il n’y a pas d’autre voie que celle-ci. Je dirais que la caractéristique de la théologie mystique c’est de dire : il n’y a qu’une seule chose pour pouvoir transformer le monde c’est transformer le cœur des hommes et mettre la sainteté au cœur de la vie humaine et de la vie des sociétés.
Entretien avec le philosophe Bertrand Vergely qui dans son nouveau livre nous invite à prendre pleinement conscience de notre vocation à ce que la tradition orthodoxe appelle la déification (theosis).
B. Vergely, Dieu veut des dieux. La vie divine, Mame, 2021
