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L’érosion du goût pour la vérité

Après plusieurs mois d’auditions et de réflexion sur l’état du paysage de l’information, les Etats Généraux de l’Information (EGI) ont rendu leurs conclusions [1], le jeudi 12 septembre 2024. Le constat est sans équivoque : ce paysage se dégrade en raison de quatre grands phénomènes à l’œuvre dans l’univers des médias [2].

1/ Le premier est la marginalisation de l’information dans l’espace médiatique. Il y a trop de messages, trop d’images reçus dans un flux permanent, si bien que la part de l’information réelle diminue. L’information est noyée au milieu d’un torrent permanent de messages. Les plates-formes numériques ont peu d’égard pour ce qui circule sur les réseaux. De ce fait nous assistons à l’effacement des frontières entre la fiction et la réalité, ce qui ouvre la voie à la désinformation.

2/ Le second phénomène est la décrédibilisation de l’information. Il y a désormais des acteurs étrangers qui attaquent en permanence toute réalité factuelle, à tel point qu’il devient impossible de déterminer ce qui est crédible. La qualité de l’espace informationnel est donc menacée par des organisations de destabilisation.

3/ Le troisième phénomène est la polarisation de l’information. Les mécanismes technologiques des réseaux sociaux accentuent cette polarisation. En jouant sur l’émotion les mécanismes technologiques des réseaux sociaux accentuent cette polarisation. La politique participe à ce mouvement et se polarise à son tour.

4/ Enfin, le quatrième phénomène est la paupérisation du monde de l’information. Les entreprises dont l’activité est d’informer, en particulier les médias indépendants, ont de plus en plus de mal à vivre sans subventions directes ou indirectes. Cette paupérisation touche les journalistes et toute la profession.

Ces quatre phénomènes accélèrent la dégradation de l’information et l’appauvrissement du débat public. Nous ne parlons pas encore ici, de l’artificialisation de l’information à travers les productions des technologies d’IAG (IA générative de textes).
Afin de freiner et d’inverser les mécanismes qui abîment notre espace informationnel, les Etats Généraux de l’Information (EGI) ont formulé 17 propositions parmi lesquelles des labellisations volontaires des entreprises de presse, afin de permettre aux citoyens de mieux distinguer les sources d’information fiables, ou encore une redistribution d’une partie des revenus publicitaires aux médias en mettant en place une contribution obligatoire des plates-formes numériques sur la publicité en ligne.
Un aspect majeur de ce travail de restauration de la confiance dans les médias se trouve dans la réflexion portant sur l’Intelligence artificielle. Dans son paragraphe, « Pour rebâtir la confiance à l’ère de l’IA », le rapport confirme que derrière des « mesures essentiellement techniques » d’amélioration, se cache le « symptôme d’une pathologie plus large : l’érosion d’une base commune dans notre rapport à la vérité ». En effet, la clé de toute relation saine à l’information est là : notre rapport à la vérité. La saveur de la vérité, le goût pour la vérité et la manière de préserver ce goût sont essentielles. S’il y a une éthique de l’information, elle est nécessairement précédée par une éthique de la quête de l’information. Le lecteur, l’auditeur, le téléspectateur doivent avoir la capacité de s’informer en vue de la vérité et non pour être passivement consommateur de contenus fabriqués ou trafiqués. « L’IA générative offre un nouvel outil à des acteurs tirant parti du climat ambiant de manipulation, de méfiance et de remise en question permanente » écrit le rapport. « Au-delà des réponses techniques, il importe donc de repenser un nouveau socle pour rebâtir la confiance dans l’information et les sources fiables. (…) il s’agit aussi d’agir au niveau des utilisateurs de tout âge par l’éducation aux médias et à l’information. En ce sens, l’IA ne doit pas seulement être un outil d’apprentissage, mais aussi un objet d’étude : comment ces outils fonctionnent, ce qu’ils permettent de faire, quelles sont les bases de données interrogées, quels sont les biais potentiels, quels sont les risques, etc. Cette sensibilisation doit aussi s’accompagner d’un apprentissage de la fabrique de l’information fiable. « La vérité n’est pas un support » écrivent les auteurs du rapport, « c’est une construction sociale et collective qui se nourrit du débat et de la transparence ».

La fonction sociale de la vérité

Cet aspect mérite d’être davantage exploré pour restaurer un espace informationnel de qualité. Il nous faut en effet redécouvrir la fonction sociale de la vérité. La vérité n’est pas d’abord une construction sociale et collective. La vérité nous précède toujours, elle existe indépendamment de nous. La vérité est le substrat vital de la confiance, et la confiance est la clé de voute de toute société unie et paisible. Pour que des personnes puissent vivre ensemble et se faire confiance, elles doivent s’être préalablement engagées à dire la vérité, à faire en sorte que la vérité prime le mensonge et le dénonce. Il y a donc une éthique de la vie sociale qui précède l’éthique de l’information. Cet engagement pour la vérité est un présupposé majeur qui n’est pas suffisamment expliqué, ni enseigné de nos jours. Il y a donc un impératif moral de servir la vérité avant même la diffusion de l’information. On éduque à la vérité afin de pouvoir correctement s’informer. L’éthique de la vérité dans les consciences doit précéder l’accueil de l’information. A cette condition seulement, les fausses informations seront repoussées. Or, c’est bien parce que notre goût de la vérité est trop faible que le pouvoir du faux triomphe et que nos sociétés sont ébranlées. « Les poissons vivent dans l’eau et les hommes dans la vérité » enseigne le dicton. La vérité n’est pas facultative, ni arbitraire et encore moins alternative. Elle est simplement vitale. Il conviendrait donc de travailler à promouvoir le goût de la vérité afin que les utilisateurs des nouvelles technologies soient protégés par la conscience du danger que représente le faux. Parce qu’elles ne sont pas humaines, les Intelligences Artificielles ignorent totalement ce qu’est la vérité. Elles n’offrent que des indices de fiabilité. Leur devenir n’est en rien lié à la vérité, contrairement à la personne humaine qui s’édifie intérieurement dans et par la vérité. La vérité est donc le chemin sur lequel, il convient d’avancer pour que s’épanouisse la vie proprement humaine. Nous voyons tous les jours que sans vérité, l’air devient irrespirable. Les efforts de régulations techniques et juridiques sont indispensables, mais ils ne peuvent se passer d’un travail philosophique exigeant, permettant de rendre toute sa place à la vérité dans l’existence humaine et dans l’architecture de notre société. Ainsi la restauration de la qualité de l’espace informationnel suppose la prise de conscience du rôle social de la vérité.


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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