Le Pape François a accompli un voyage historique en Irak. Si sa portée politique est incertaine, sa fécondité humaine et spirituelle est déjà acquise. En effet, pour le pape, ce sont toujours les évènements qui changent le cours de l’histoire, ce sont les initiatives libres et courageuses qui suscitent un esprit nouveau et ouvrent des possibles, inattendus et parfois inespérés.
Au Palais présidentiel à Bagdad, le vendredi 5 mars 2021, le Pape François a rencontré les autorités, la société civile et le corps diplomatique. En rappelant les désastres des guerres, du fléau du terrorisme et des conflits sectaires souvent fondés sur un fondamentalisme qui ne peut accepter la coexistence pacifique de différents groupes ethniques et religieux, d’idées et de cultures diverses (…) en rappelant les victimes innocentes de barbaries insensées et inhumaines, persécutés et tués en raison de leur appartenance religieuse (…) il leur a adressé des paroles de sagesse, dont la portée est universelle.
Voici en 6 points essentiels de son discours, une véritable feuille de route pour la paix.
1/ Chercher d’abord l’unité pour « construire un avenir fondé davantage sur ce qui nous unit que sur ce qui nous divise ».
« C’est seulement si nous réussissons à nous regarder entre nous avec nos différences, en tant que membres de la même famille humaine, que nous pourrons engager un véritable processus de reconstruction et laisser aux générations futures un monde meilleur, plus juste et plus humain. »
2/ Penser la fraternité comme condition essentielle à un avenir de paix.
La fraternité s’enracine dans la conscience d’une même existence charnelle de tous les êtres humains.
« Une société qui porte l’empreinte de l’unité fraternelle est une société dont les membres vivent dans la solidarité. (…) « La conscience que nous avons d’être responsables de la fragilité des autres » (Fratelli tutti, n. 115) devrait inspirer tout effort pour créer des possibilités concrètes, que ce soit sur le plan économique ou dans le domaine de l’éducation, comme aussi pour le soin de la création, notre maison commune. Après une crise, il ne suffit pas de reconstruire, il faut le faire bien, de manière à ce que tous puissent mener une vie digne. On ne sort pas d’une crise pareille qu’avant : on en sort ou meilleurs, ou pires. »
3/ Reconnaître une même citoyenneté pour tous, quelle que soit l’appartenance religieuse
François exhorte à ne pas gouverner par l’appartenance religieuse mais par la citoyenneté. Le « confessionnalisme », qui établit une répartition du pouvoir en fonction de l’appartenance religieuse butte inévitablement sur les inégalités, les jalousies et le rapport de force. Autrement dit, le communautarisme sera toujours une impasse et ne pourra pas assumer une pluralité.
Pour poser les bases d’une société démocratique, il est indispensable en ce sens d’assurer la participation de tous les groupes politiques, sociaux et religieux, et de garantir les droits fondamentaux de tous les citoyens. Que personne ne soit considéré comme citoyen de deuxième classe. J’encourage les pas accomplis jusqu’ici sur ce parcours et j’espère qu’ils renforceront la sécurité et la concorde.
4/ Affirmer avec liberté son espérance
C’est sans crainte que François a fait entendre le fond de sa pensée sous la forme d’une vibrante inspiration : « (…) Que se taisent les armes ! Que la diffusion en soit limitée, ici et partout !
Que cessent les intérêts partisans, ces intérêts extérieurs qui se désintéressent de la population locale. Que l’on donne la parole aux bâtisseurs, aux artisans de paix ; aux petits, aux pauvres, aux personnes simples qui veulent vivre, travailler, prier en paix !
Assez de violences, d’extrémismes, de factions, d’intolérances !
Qu’on laisse de la place à tous les citoyens qui veulent construire ensemble ce pays dans le dialogue, dans une confrontation franche et sincère, constructive ; à celui qui s’engage pour la réconciliation et qui, pour le bien commun, est prêt à mettre de côté ses intérêts particuliers ! »
5/ Responsabiliser la communauté internationale
François explique qu’il est « nécessaire de lutter contre la plaie de la corruption, les abus de pouvoir et l’illégalité, mais ce n’est pas suffisant. Il faut en même temps édifier la justice, faire grandir l’honnêteté, la transparence et renforcer les institutions à cet effet ». « La Communauté internationale a, elle aussi, un rôle décisif à jouer dans la promotion de la paix sur cette terre et dans tout le Moyen Orient. (…) Je souhaite que les nations ne retirent pas du peuple irakien la main tendue de l’amitié et de l’engagement constructif, mais qu’elles continuent à œuvrer en esprit de commune responsabilité avec les Autorités locales, sans imposer des intérêts politiques ou idéologiques. »
6/ Faire des religions une ressource
François engage « l’Eglise catholique (qui) désire être amie de tous et, par le dialogue, collaborer de façon constructive avec les autres religions, à la cause de la paix. « La religion, de par sa nature, doit être au service de la paix et de la fraternité. Le nom de Dieu ne peut pas être utilisé pour « justifier des actes d’homicide, d’exil, de terrorisme et d’oppression » (Document sur la fraternité humaine, Abu Dhabi, 4 février 2019). »
« Que Dieu nous accorde de marcher ensemble, comme des frères et des sœurs, dans « la forte conviction que les vrais enseignements des religions invitent à demeurer ancrés dans les valeurs de la paix […] de la connaissance réciproque, de la fraternité humaine et de la coexistence commune » (Document sur la fraternité humaine, Abu Dhabi, 4 février 2019).
Dans cette perspective, le lendemain samedi 6 mars, dans la ville d’Ur, berceau du patriarche Abraham, le Pape François vivait la rencontre interreligieuse avec les responsables de toutes les religions. Voici quelques extraits de son allocution en forme de plaidoyer pour la paix et la responsabilité de tous en ce temps :
« Il n’y aura pas de paix sans partage et accueil, sans une justice qui assure équité et promotion pour tous, à commencer par les plus faibles.
Il n’y aura pas de paix sans des peuples qui tendent la main à d’autres peuples.
Il n’y aura pas de paix tant que les autres seront un eux et non un nous.
Il n’y aura pas de paix tant que les alliances seront contre quelqu’un, parce que les alliances des uns contre les autres augmentent seulement les divisions.
La paix n’exige ni vainqueurs ni vaincus, mais des frères et des sœurs qui, malgré les incompréhensions et les blessures du passé, cheminent du conflit à l’unité. Demandons-le dans la prière pour tout le Moyen-Orient, je pense en particulier à la Syrie voisine, martyrisée. (…)
Il nous revient, humanité d’aujourd’hui, et surtout à nous, croyants de toute religion, de convertir les instruments de haine en instruments de paix.
Il nous revient d’exhorter avec force les responsables des nations afin que la prolifération croissante des armes cède le pas à la distribution de nourriture pour tous.
Il nous revient de réduire au silence les accusations réciproques pour donner une voix au cri des opprimés et des rejetés sur la planète : trop sont privés de pain, de médicaments, d’instruction, de droit et de dignité !
Il nous revient de mettre en lumière les manœuvres douteuses qui tournent autour de l’argent et de demander avec force que l’argent ne finisse pas toujours et seulement par alimenter le confort effréné de quelques-uns.
Il nous revient de protéger la maison commune de nos intentions prédatrices.
Il nous revient de rappeler au monde que la vie humaine vaut pour ce qu’elle est et non pour ce qu’elle a, et que les vies des enfants à naître, des personnes âgées, des migrants, des hommes et des femmes de toutes couleurs et nationalités sont toujours sacrées et comptent comme celles de chacun !
Nous, frères et sœurs de diverses religions, nous nous sommes retrouvés ici, à la maison, et d’ici, ensemble, nous voulons nous engager afin que se réalise le rêve de Dieu : que la famille humaine devienne hospitalière et accueillante envers tous ses fils ; qu’en regardant le même ciel, elle chemine dans la paix sur la même terre. »