Plusieurs semaines après la parution de la déclaration Fiducia supplicans, les remous n’en finissent pas. De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’un texte émanant du Saint Siège, la Congrégation pour la doctrine de la foi, ouvrant la possibilité pour un prêtre de bénir, dans des circonstances particulières, un couple de personnes homosexuelles. Les longues explications concernant la signification d’une bénédiction prouvent précisément que le couple de personnes homosexuelles ne ressort pas de ce que l’Eglise entend bénir au sens plein. L’Eglise y redit en effet son attachement au mariage d’un homme et d’une femme. Ce sont précisément ces circonstances particulières précisées dans le texte, qui, en instaurant un cadre spécifique et restreint, rappellent la différence des situations, de sorte qu’il n’y a pas de confusion possible entre un couple et un couple de personnes de même sexe. Si l’intention initiale consistait à lutter contre le sentiment de rejet des personnes homosexuelles, en permettant la parole de bénédiction d’un prêtre rejoignant ces couples en situations dites « irrégulières », leur irrégularité n’en est finalement que soulignée. La condition de pécheurs est même précisée et l’appel à la conversion rappelée. La nouvelle catégorie de bénédictions que l’on pourrait qualifier de troisième classe, après la bénédiction interne aux sacrements et la bénédiction des sacramentaux – dans un cadre liturgique -, les bénédictions ouvertes par Fiducia supplicans, sont extra liturgiques sans lien avec un lieu consacré et sans ornement liturgique. Autrement dit toute forme de solennité est exclue et ces bénédictions seront seulement spontanées… Je me demande encore comment ce caractère vexatoire n’a pas été davantage relevé. A vouloir trop bien faire, on finit par faire du mal, même sans le vouloir. A mal communiquer, on finit par dire le contraire de que l’on voulait exprimer : le message d’accueil des personnes homosexuelles, membres à part entière de la vie de l’Eglise puisque baptisées, et la considération sincère pour leur engagement affectif, se heurte à la mise sous condition de cette bénédiction. Ceux qui attendaient une reconnaissance sont renvoyés à leur irrégularité. Le communiqué apportant des précisions sur Fiducia supplicans, appelle à ce que chacun grandisse « dans la conviction que les bénédictions non-ritualisées … ne sont pas une ratification de la vie qu’il mène » (parlant du couple). Une réflexion de fond sur l’homosexualité, depuis ses origines complexes jusqu’en ses expressions sociales et affectives, aurait permis de préparer un terrain dans les différents épiscopats. Le sujet aurait mérité une réflexion participée. Il faut vraiment s’étonner aussi du caractère vertical de la déclaration approuvée par le Pape François en pleine année sur la synodalité. Où est dès lors, la conversation dans l’Esprit, méthode tant vantée ces derniers mois ?
Les réactions des épiscopats dans le monde divergent parce qu’ils ne se situent pas tous au même niveau de réponse. L’accent mis par certains sur la seule bénédiction des personnes et non des couples pointent le nœud du problème. Le couple ne se regarde pas seulement les yeux dans les yeux, il vit des relations sexuelles qui engagent non seulement les cœurs, mais aussi les corps. Et c’est là que le bât blesse. C’est là que se trouve le caractère peccamineux des actes qu’il est impossible de bénir, disent les opposants. Si les uns estiment que ces actes ne les regardent pas, les autres les voient et les conçoivent en pensées avec effroi. Tous n’ont pas la même approche personnelle de l’homosexualité en général, et - sans qu’il soit offensant de le dire - tous ne sont pas pareillement homosensibles. C’est au fond, toute la signification de la sexualité qui est en question. Un schisme anthropologique menace à n’en pas douter, si l’on ne clarifie pas rapidement la signification de la différentiation sexuelle et de l’affectivité sexuelle à l’aune et de la Tradition et de nos nouvelles connaissances. C’est un vaste chantier. Pour l’Eglise, l’homme et la femme sont chacun dans leur corporéité même, l’expression visible d’une saillance et d’une prégnance divine invisible. Leur union ouvre la voie à une possible nouvelle existence, si bien que le lien conjugal unissant l’homme et la femme, demeure pour l’Eglise l’image de Dieu, source de vie. « De quoi se mêle encore l’Eglise ! » se lamenteront les uns. « Qui, sinon l’Eglise, peut aider à penser nos corps sexués autrement qu’en terme de pulsions et d’animalité ? » diront les autres. Les sociétés humaines n’en finissent pas de s’interroger sur les grandeurs et les misères de la condition sexuée de l’humanité. A-t-on vraiment fini d’écouter la Révélation à ce sujet ?
D’autre part, les contextes socio-culturels des épiscopats ne sont pas identiques et la réception d’un tel document ne pouvait que mettre le bazar dans le système. « Mettre le bazar » était précisément l’appel du Pape aux jeunes. Gageons que son jeune Préfet pour la Doctrine de la Foi, Mgr Victor Manuel Fernandez, aura reçu cette invitation pour lui-même. « Mettez le bazar, mais ensuite, aidez aussi à ranger. Un bazar qui nous donne un coeur libre, un bazar qui nous donne la solidarité, un bazar qui nous donne l’espoir » avait lancé François aux jeunes en 2015 lors de sa visite au Paraguay. Il reste à voir qui va aider à ranger…