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En vue des élections

1) L’usage consiste à identifier un électorat confessionnel.

Il n’est pas rare d’entendre parler d’un vote catholique, d’un vote musulman… Le prisme électoral transforme et déforme une affiliation religieuse en groupe politique. C’est évidement regrettable car l’appartenance religieuse ne doit pas surdéterminer un vote qui est d’abord un acte civique. Ce sont des citoyens qui votent. Il convient de leur faire gré de la capacité de voter en visant le bien commun de la société et de transcender leur communauté d’appartenance. D’ailleurs, il est dit et répété avant et après chaque élection que « le » vote catholique existe moins que jamais. Le vote des Français de confession catholique est distribué dans l’ensemble des propositions politiques.
Ajoutons que la politisation du religieux n’est pas une bonne idée. Elle fait courir le risque de ne plus pouvoir identifier ce qui caractérise la foi. Je dirais alors que l’ignorance religieuse fait le jeu d’une politisation du religieux. Il nous appartient de distinguer l’espérance chrétienne qui suppose, englobe et dépasse l’engagement publique et la participation à la vie démocratique. Nous devons tous redouter l’affaiblissement spirituel de la société, car il ouvre à l’instrumentalisation des religions en force politique. Or une telle réduction des religions les installe dans un jeu concurrentiel avec les autorités politiques. Les autorités religieuses et politiques doivent se rencontrer et se parler, mais leurs responsabilités ne se confondent pas.
Il faut déjà se préparer à la pression médiatique, et à l’appel aux personnalités religieuses de prendre parti au motif que leur respectabilité républicaine serait en jeu. Le porte-parole de l’Orthodoxie avait clairement exprimé cela en 2017 :
« Si ces religions qui sont des consciences morales entrent dans l’arène politique nous risquons d’ajouter du trouble au trouble. À long terme, ce mélange des genres entre politique et religion peut causer d’autres problèmes, qui touchent à notre bien commun la laïcité, notamment face à un islamisme radical qui n’attend que ça. » Carol Saba, responsable de la communication de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France.

L’histoire politique séculaire montre que lorsque les pouvoirs sont établis sur une faible légitimité, ils cherchent toujours à la renforcer soit par des plébiscites, soit par la recherche d’une reconnaissance des autorités religieuses, d’une sorte d’onction religieuse.
Quel que soit le résultat des prochaines élections, craignons surtout que le vainqueur ne dispose que d’une faible adhésion positive à sa personne et à son projet. Souhaitons que la participation des Français aux élections donne aux candidats une vraie légitimité.

Notre pays trouve dans la séparation de l’Etat et des cultes un de ses principes cardinaux. Il nous appartient donc de résister à la réduction d’une religion en réserve de voix, car cette réduction politique ne permet plus de voir en elle, une source d’inspiration pour œuvrer à service du bien commun.

2) Une campagne présidentielle produit inévitablement une généralisation des attitudes moralisatrices.

Ces attitudes conduisent souvent à juger les autres sur des comportements inacceptables sans avoir produit la moindre autocritique sur soi-même.
Une campagne présidentielle produit inévitablement une généralisation de la manipulation qui s’exprime au travers de propos réducteurs, déformés, instrumentalisés produits de tous côtés. La puissance médiatique préfère un focus sur des gestes et des paroles plus que sur des pensées, des visions. Témoigner d’une vision ou d’un projet de société implique des explications moins bien supportées par le système télévisuel qui repose sur l’attention, l’émotion et les réactions.
Les petits mots et les images isolées deviennent des armes, pour ridiculiser, dénigrer, abaisser, orienter... Ces techniques inversent la hiérarchie des enjeux, et l’anecdotique finit par occuper le temps de parole. La recherche de la vérité semble devenue secondaire. Il s’agit souvent de gagner en marquant les esprits, de capter l’électeur comme on attrape les consommateurs.

Les évêques de France veulent proposer aux Français, à tous les Français, aux catholiques comme à ceux d’autres religions et sans religion, de débattre vraiment. Il faut éviter les disputes stériles, éviter que les arguments deviennent des pavés que l’on s’envoie. Au contraire, débattre vraiment permet de construire une maison commune. C’est pourquoi la dramatisation excessive des alternatives est une stratégie rhétorique qu’il faut savoir repérer. La vie ou la mort, le fascisme ou la démocratie, le libre-échange ou les barbelés et les miradors, le bien et le mal sont autant de simplismes qui ne permettent plus de discuter et de se comprendre.

Enfin et surtout, nous savons qu’une campagne électorale sera l’occasion d’une surenchère de promesses. Avec ou sans réalisme, les propositions doivent faire naître le narratif d’un monde meilleur, moins violent et plus protecteur. Tout n’est hélas pas possible : le chômage, la sécurité, la puissance internationale de la France, la protection sociale sont des réalités qui évoluent sur des périodes longues et souvent sans certitude. Il nous appartient de mieux comprendre la réalité du monde dans lequel nous vivons pour apprécier la crédibilité des promesses. Un programme électoral doit parler au cœur et aussi à la raison.

3) Fussions-nous d’irréductibles gaulois, nous n’avons pas la recette de la potion magique !

Nous savons très bien que les forces qui traversent notre monde sont bien plus puissantes que les pouvoirs dont nos responsables politiques disposent, eux qui sont souvent plus enclins à suivre les mouvements de fond qu’à les susciter.
Nous savons très bien que les difficultés que nous affrontons ne demandent pas des solutions manichéennes mais un patient travail de fond et de compréhension. Nous savons que pour beaucoup d’entre-eux, les solutions sont plus à inventer dans le dialogue qu’à imposer par la force. Nous savons très bien qu’il sera impossible d’avancer collectivement si plus de la moitié des gens sont "contre".

Acceptons d’emblée qu’il n’y a ni solution miracle ni élu providentiel. Reconnaissons que la responsabilité de chacun est engagée dans le vote mais aussi après le vote, parce que nous ne pouvons pas tout attendre de la personne élue pour relever les défis sécuritaires et économiques du pays.
C’est dès maintenant qu’il nous faut envisager les électeurs non comme des supporters dévots ou des ennemis à détruire mais comme des frères et soeurs avec qui nous partageons un même souffle de vie. Regardons ce que nous avons à faire, chacun d’entre nous dans notre vie, ici et maintenant pour rendre notre quotidien plus humain, plus vivable et plus fraternel.
Les Français de confession catholique savent qu’au-delà de leur satisfaction ou pas quant à la personne élue, ils doivent inlassablement œuvrer à la concorde. Ils s’y appliqueront conscients que chacun aura à rendre des comptes. Non seulement les élus à leurs électeurs, au terme de leur mandat, mais également, chacun au terme de son existence, à Celui de qui vient tout pouvoir (Rm 13,1).


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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