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Du digitus divin au digital humain : l’humanité au défi du sens

1/ Quand la Pentecôte rappelle un principe essentiel

Chaque année la fête chrétienne de la Pentecôte sonne le rappel d’une réalité simple et essentielle que nous peinons de plus en plus à comprendre. Cette fête trouve son origine dans la vie et la foi du peuple juif. En recevant de Dieu par la médiation de Moïse, les Paroles de vie qui forment le Décalogue, le peuple des fils d’Israël était conduit au rappel que l’être humain, étant douée d’un esprit, doit se gouverner lui-même par l’esprit selon des lois.

La fête de la Pentecôte juive comme chrétienne célèbre l’ouverture de l’esprit de l’homme à la vérité de sa vie, à la dimension spirituelle de sa nature humaine. C’est toujours en esprit que l’homme se conçoit, c’est en esprit qu’il se détermine dans ses choix. La vie de l’esprit commande effectivement toutes les existences individuelles et toute la vie sociale. Pour œuvrer à son propre bonheur et non à son malheur, il faut à l’homme l’aide d’un esprit bon, un esprit capable de corriger les déficiences de son esprit malade et apeuré.

Dans la foi chrétienne, cet esprit est donné gratuitement aux hommes. Il se nomme l’Esprit-Saint, qui vient les fortifier pour oser prendre les risques que leur impose le statut de créature douée de liberté. L’Esprit de Dieu lui-même venant demeurer à l’intime de l’esprit de l’homme, vient l’inspirer et le conduire. La conscience humaine devient alors le lieu d’un étrange combat, d’un nécessaire discernement pour décider de l’origine des pensées qui se forment dans l’esprit. D’où viennent nos pensées ? Comment se forment-elles en nous ?

A l’heure où de prodigieuses technologies investissent nos vies, nos esprits sont de plus en plus connectés aux machines elles-mêmes connectés aux réseaux. Le digital se substitue au digitus divin, au doigt divin qui gravait la loi de vie sur la pierre, puis dans le cœur des hommes. Il est bon de fêter la Pentecôte pour retrouver notre aptitude à l’inspiration. Il s’agit de se remettre à l’écoute de ce qui nous inspire, et d’accueillir un souffle d’une autre nature que le souffle corporel : un souffle spirituel. Le philosophe Gustave Thibon (1903 – 2001) disait en ce sens qu’une civilisation où domine « le souci stérilisant d’échapper à la mort, conduira les hommes à l’oubli de la vie ». C’est pourquoi, la Pentecôte fait mémoire du don de l’Esprit de Dieu qui libère – enfin ! – les hommes de la servitude de la mort pour qu’ils ne s’épuisent pas à ne pas mourir mais à vivre. Cet Esprit-Saint est pour tout homme chemin de vie, de victoire sur ses peurs et donc de joie.

2/ La nature humaine est capable de sagesse

Je pense en effet que si vous ne savez pas ce qu’est l’homme avant (et sans) la technologie, vous finirez par penser l’homme selon ce que la technologie vous dira de lui. Or, la capacité de normativité des technologies, par leur diffusion de masse, est telle qu’elle peut redéfinir l’idée que l’être humain se fait de lui-même. L’humanité est captive d’une peur de la mort, que d’aucun pense naturelle. Pour conjurer la mort, l’homme se fixe sur ce qu’il pense qu’elle est : la fin du corps. Il se fixe donc sur la préservation de la vie du corps qu’il identifie comme une mécanique à perfectionner. Il identifie sa vie à sa seule biologie et en vient à négliger ou ignorer le rôle de l’esprit. Car la mortalité du corps n’est que le signe visible d’une réalité invisible à ses yeux, mais seulement perceptible à son intelligence. C’est en esprit qu’il faut comprendre la mort et la dominer, au lieu de penser la vaincre. Le rôle de l’amour, du don, de la gratuité sont constitutifs de sa vie d’homme. Tout homme né en ce monde a commencé sa vie en recevant gracieusement un don. Il découvre et apprend la totale gratuité de sa vie et finalement peut se laisser habiter par la gratitude. Elle seule peut contenir sa vie de manière permanente. La gratitude ne meurt jamais, c’est par elle que l’homme reste vivant.

Blaise Pascal avait parfaitement alerté sur le danger d’une science sans conscience qui est ruine de l’âme. En effet, si l’âme comme principe de vie, est occultée, il s’en suit une dégénérescence des consciences qui ne trouvent plus leur centre, ni leur raison d’être. Aujourd’hui, ce sont à des consciences sans science qu’il faut faire face. C’est-à-dire des consciences sans quête de sens, sans connaissance ni goût pour l’étude. Ces consciences vides d’âme et de science se fracassent sur le monde réel que l’on voudrait refaire à sa main, au lieu de l’interpréter et de le comprendre.

La Bible et le message évangélique ont fécondé l’histoire européenne et porté jusqu’aux Lumières la perspective de l’humanisation de l’homme à partir de sa vie spirituelle, fusse-t-elle areligieuse. La vie de l’esprit, sa fécondité naturelle, sa force créatrice, sa puissance poétique tant louées dans les siècles passés, sont en train d’être englouties par la seule vitesse de calcul des machines. Une accélération qui pourrait laisser croire à une fécondité technique, à une créativité technique, à une poétique technique. Mais cela est faux et nous le savons parce que cela ne procure pas davantage de saveur à l’existence. Seul l’esprit humain peut goûter la saveur du réel, car lui seul est apte à ce qu’on appelle la sagesse. Or, c’est précisément cette capacité de sagesse, d’interpréter le monde que nous acceptons de brader pour un monde plus confortable et performant, pour éliminer toute souffrance que nous estimons de moins en moins supportable. Oui, une civilisation où domine le souci stérilisant d’échapper à la mort, conduit inéluctablement à l’oubli de la vie.

Dès lors, il n’est plus temps pour les grandes traditions religieuses, de se fixer sur la seule correction et perfection de la vie morale des fidèles, mais de sauvegarder la capacité même d’une vie morale. Les technologies du numériques uniformisent et régulent les modes de vies. Tels de grands abreuvoirs, chacun vient y puiser un peu de cette eau qu’il paye au prix fort de son attention. Il faut plus que tout préserver en l’homme ce par quoi il se pense, car il est déjà mort celui a cessé de se penser.

3/ Qui se soucie du devenir des hommes ?

La vie humaine est une vie physique et une vie morale d’un seul tenant. La vie de l’esprit ne se régule pas par le contrôle de la chimie du cerveau. La vie morale de l’homme témoigne d’une instance propre à la nature humaine qui s’accomplit dans les relations, et singulièrement dans la capacité de se recevoir et de se donner. La transcendance est bien constitutive de la personne humaine. Ce serait amputer l’homme d’une part de lui-même que de le priver de son intériorité, de sa quête de sens et de son lien secret à Dieu. Le progrès de nos connaissances sur l’activité cérébrale se corrompt avec la tentation d’une régulation de la vie cérébrale par des substances chimiques. Le bénéfice indéniable des régulateurs d’humeurs pour les personnes malades, finissent par se retourner contre l’ensemble de la population avec la recherche folle de contrôler les émotions, de susciter les réactions afin de toujours mieux maitriser les comportements. En cela, l’homme est toujours plus réduit à un pantin, à un contrôle permanent et il cesse d’être appelé à s’édifier, c’est-à-dire à se sanctifier. Là où il n’y a plus l’ardeur du devenir, il n’y a déjà plus la saveur du présent.

Le pouvoir des machines sur nos esprits prend des proportions sidérantes. La luminosité des écrans n’est pas une lumière sur le monde pour mieux le voir et le comprendre. Elle est une lumière émanant du monde technologique captant notre attention pour cesser de regarder le monde réel. Cette lumière éblouissante ne permet plus de l’interpréter. Or, la vraie nourriture de l’homme ne se trouve pas seulement dans les champs, mais aussi dans son travail d’interprétation du monde. Les cultures nourrissent les corps tandis que la culture nourrit l’esprit, et seule cette dernière oriente l’existence. De même qu’il faut labourer les terres agricoles, il faut travailler les consciences et les travailler sans cesse afin qu’elles puissent donner le meilleur de ce qui réjouit et fortifier les cœurs défaillants. Le bien commun commence dans les représentations mentales que nous nous faisons au sujet de ce que nous sommes. Le bien commun se préserve d’abord dans l’œil qui regarde et dans l’intelligence qui interprète. Quiconque se conçoit mal, prive les autres de justes relations à soi. La sollicitude humaine pour son semblable ne doit pas s’arrêter à pourvoir à ses besoins corporels vitaux, mais elle va jusqu’à donner à son esprit la capacité de se concevoir correctement, de façon heureuse et bonne. C’est le sens même de la Pentecôte !

Tous les hommes savent qu’ils naissent de leurs parents, même s’ils sont absents ou défaillants par la suite. Contrairement aux hommes, aucune machine ne sait d’où elle vient. L’impossibilité pour les machines de répliquer la dimension spirituelle de l’homme colonise malgré tout l’espace psychique des hommes. Ils projettent sur les machines leur propre liberté et finissent par ne plus voir ce qui les constitue et ce qui détermine leur accomplissement.
Le devenir de l’homme n’a rien à voir avec le devenir des machines, ni mêmes des autres créatures vivantes. Mais qui se soucie encore du devenir de l’homme ? Qui peut une seule minute se figurer que notre âme peut souffrir dans la mort si elle n’est pas apte à affronter son antithèse qu’est l’irradiante beauté de l’amour ? En effet si c’est déjà l’amour qui a embelli et coloré les jours de notre existence terrestre, pour quelle raison, l’amour ne serait-il pas encore la cause d’une mort apaisée ? L’amour est ici l’amour qu’a pour moi un autre que moi. Ce n’est pas l’amour de soi, mais l’amour de l’autre qui fait vivre : c’est l’amour dont je suis aimé ! Le premier amour connu est toujours celui qui nous a fait vivre. Nous en perdons trop tôt le fil sous l’effet des épreuves et des déceptions, mais il demeure invariablement vrai que l’amour seul fait vivre.

4/ La régression dans la matrice

Si l’homme ne s’empare pas de ce qui le fait homme, et de la manière dont il doit devenir « homme de pensée », ou encore en termes bibliques « Temple de l’Esprit », il s’aliène à ses propres œuvres. Seule la vérité sur sa nature, vérité qui est la nourriture de son esprit, le rend vraiment libre.
Notre époque a abdiqué de façon ahurissante la vérité de la vie morale qui participe non seulement au devenir temporel des hommes et des sociétés, mais aussi au devenir des êtres dans la mort. « La véritable écologie combat toutes les pollutions, dont les pollutions intellectuelles » rappelait récemment le philosophe Yves Roucaute. Nous sommes bien plus sensibles à la toxicité des aliments qui nourrissent nos corps, qu’à la toxicité des paroles qui polluent nos pensées. Et pourtant, l’intoxication mentale qui se produit par l’effet des réseaux sociaux. Leur imperméabilité au vrai, au bien et au beau est en train de saper les relations humaines qui sont au fondement de nos sociétés.

Les technologies sorties de la main des hommes, de leur génie, s’affranchissent de toutes les frontières, y compris de la frontière du corps humain. L’homme tente d’y faire pénétrer de quoi se façonner une transcendance à sa mesure au lieu d’explorer celle qu’il porte et le constitue par nature.

Celui qui n’a pas voulu naître au monde des hommes, à l’épreuve – réellement terrible - de sa liberté créatrice, essaye de retourner dans la matrice. Avec tous ses liens numériques, avec sa dépendance digitale, l’homme connecté essaye de se recréer un cordon ombilical capable de pourvoir à ses besoins humains. Même l’autorité paternelle de l’Etat, gardien du lien social, sera peu à peu engloutie par la régression au pur ressenti. La « société liquide » cherche le liquide amniotique par lequel la vie ne coûte rien, n’exige rien. En préférant la sensation à la réflexion, l’homme moderne ne voit plus combien seule la vie de l’esprit est la voie de son accomplissement. La vie intérieure de l’homme préside à tous ses développements extérieurs. Une vie intérieure asphyxiée produit une asphyxie de son environnement. Il est bien plus terrible de devoir s’assumer comme une créature libre et en devenir, responsable de son accomplissement, de son destin éternel que de se prendre pour un animal évolué sans destin particulier sinon celui de la prochaine et totale dissolution dans la mort.

La fête de la Pentecôte rappelle quel Esprit doit fortifier l’esprit de tout homme pour qu’il ne perde pas le fil de sa vie. Elle rappelle que l’esprit humain est sujet à inspiration et qu’il a besoin de la bonne inspiration du Saint Esprit, capable de le conduire vers la vérité tout entière : vérité sur sa nature divino-humaine et sur sa destinée bienheureuse. La Pentecôte rappelle enfin que l’Esprit-Saint transfigure l’homme, tandis que son absence le défigure. Si personne n’est obligé de croire cela, chacun s’accomplit par la manière dont il se pense lui-même. L’Eglise catholique existe pour offrir à toute personne de participer à l’Esprit divin par la vie des sacrements.


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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