Une arme vise toujours une cible. Aujourd’hui, les technologies numériques, détournées de leur usage premier, sont devenues des armes de désinformation massive. Qui en sont les victimes ? La vérité et la démocratie. Or, la seconde ne peut survivre sans la première.
L’illusion du savoir à l’ère du scroll
« Je passe environ 7h/jour sur mon téléphone » dit Maelyne, lycéenne de 15 ans. « Je m’informe par TikTok, Snap, Insta. C’est la base. J’ai arrêté YouTube, parce que les vidéos y sont plus longues que sur TikTok, et il y a trop de pub. Alors que sur TikTok, tu scrolles, tu scrolles, tu scrolles… » ajoute Walid lycéen de 15 ans, lui aussi [1]. Ces mots de lycéens résument un phénomène inquiétant. Les heures passées à scroller créent une consommation passive de contenus où l’information se mêle au divertissement, sans filtre ni recul. Résultat : la vérité scientifique perd son pouvoir. "La sécession d’une partie importante de la population avec le consensus scientifique, et plus largement, la subordination de son rapport à la réalité à ses convictions politiques ou philosophiques" [2]. Petit à petit, l’idée s’impose que personne ne peut se faire arbitre de la vérité, sapant ainsi le travail journalistique et les fondements mêmes de la démocratie.
Des algorithmes qui façonnent notre perception du monde
Nous accédons à l’information par des outils technologiques, mais ces derniers ne sont pas neutres. Ce que nous voyons dépend des algorithmes des plateformes, qui favorisent l’émotion au détriment de la raison. La viralité prime sur la véracité, et le « brouillard informationnel » permet aux fausses nouvelles de prospérer. « Au bout d’un moment, on a du mal à réfléchir et on se met à croire des choses qui ne sont pas vraies, parfois même à croire n’importe quoi » résume le journaliste Thomas Huchon [3].
L’accumulation d’informations, vraies ou fausses, laisse une trace dans l’esprit : une impression vague mais suffisante pour influencer notre perception du réel. Quand tout est présumé crédible mais invérifiable, la vérité devient une affaire de ressenti personnel. Or, lorsque l’émotion prend le pas sur la raison, les citoyens deviennent manipulables.
Sans effort intellectuel, la démocratie vacille
La démocratie ne peut survivre sans exigence intellectuelle. Si elle devient un simple exutoire émotionnel, elle bascule dans la démagogie. Lorsque l’on encourage la réactivité plutôt que la réflexion, lorsque la haine et la peur deviennent des outils politiques, la démocratie s’effondre sous le poids des impostures. Un peuple chauffé à blanc par des flux d’informations incontrôlées peut être conduit à remettre son destin entre les mains d’un leader autoproclamé « sauveur ». C’est ainsi que naissent les régimes autoritaires.
Un combat pour la vérité et la liberté
« Si les principes moraux qui sont sous-jacents au processus démocratique ne sont eux-mêmes déterminés par rien de plus solide qu’un consensus social, alors la fragilité du processus ne devient que trop évidente – là est le véritable défi pour la démocratie » rappelait Benoît XVI [4].
La démocratie repose sur l’engagement personnel et la responsabilité des citoyens pour la liberté de conscience, la recherche de la vérité et le bien commun. Sans un effort collectif pour défendre l’esprit critique et la liberté d’expression, elle devient une coquille vide, vulnérable aux dérives autoritaires. On ne sauve pas la démocratie en appelant à la démocratie, mais en sauvegardant les conditions de son véritable exercice.
A l’ère numérique, il est indispensable que se lèvent des vigies pour encourager à discerner. Déjà des enseignants, des parents, des intellectuels, des artistes appellent à comprendre les mécanismes psychiques et cognitifs qui façonnent nos opinions. Il s’agit de préserver des espaces de réflexion et de création, et de refuser l’asservissement aux flux d’informations dictés par des algorithmes. C’est seulement dans cette respiration intellectuelle et spirituelle, portée par des amitiés sincères, que l’être humain s’humanise vraiment et reste libre.
Notes :
[1] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/grand-bien-vous-fasse/grand-bien-vous-fasse-du-mercredi-19-mars-2025-8398643
[2] Jean-Philippe Dubrulle, Quand la défiance supplante la science, Fondation Jean-Jaurès, 1er février 2021.
[3] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/grand-bien-vous-fasse/grand-bien-vous-fasse-du-mercredi-19-mars-2025-8398643
[4] Benoit XVI, Westminster Hall, 17 septembre 2010