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De l’humanité technicienne à l’alliance avec la sagesse

Une mentalité technique

Avec recul, la crise sanitaire fait apparaître une nouvelle fois combien nos sociétés occidentales sont profondément façonnées par une mentalité technique et scientifique. Plus encore, elles sont habitées par la présomption de la supériorité de ses outils techniques. Dans l’encyclique Laudato Si’, le pape François ciblait très spécifiquement les effets sur l’homme, de son alliance avec la technique : « Le problème fondamental est encore plus profond : la manière dont l’humanité a, de fait, assumé la technologie et son développement avec un paradigme homogène et unidimensionnel » n°106. Ainsi, la philosophie qui préside à la réponse politique à l’épidémie est symptomatique de cet état d’esprit : confiner les populations, partir en guerre contre le coronavirus et allouer des milliards à la recherche d’un vaccin contre le virus. Le 25 mars, le Président de la République annonçait un effort de guerre pour renforcer le système de santé. Une réponse des gouvernements occidentaux est nécessaire et décisive pour sauver des vies, mais ne lui manque-t-il pas une épaisseur d’humanité ? La confiance des instances politiques dans le pouvoir de vaincre de la médecine relève pour une part d’un fantasme longuement choyé, alors que les scientifiques eux-mêmes confessent plus librement leur impuissance face à une microbiologie qu’ils ignorent. La médecine a fait les frais non seulement d’une négligence de moyens pour assurer le quotidien (voir l’état du système hospitalier avant la crise) puis d’une projection coupable sur le pouvoir illusoire des nouveaux soldats que sont les personnels soignants dont beaucoup disent qu’ils furent « envoyés au front sans munition ». Notre mentalité technicienne a aliéné les choix politiques à n’offrir qu’une réponse purement technicienne et guerrière, prisonnière des seuls rapports de force. « Attention de ne pas tomber dans ce que j’appelle le pan-médicalisme, qui consiste à faire de la santé la valeur suprême » suggérait le philosophe André Comte-Sponville « Se laver les mains, c’est très bien, mais cela ne tient pas lieu de sagesse ».
Pour être fortifiée et hissée au niveau de l’épreuve qu’elle traverse, la société n’a-t-elle pas besoin d’autres promesses qu’une victoire sur l’ennemi invisible et une protection de l’économie ? Aura-t’on vaincu l’ennemi lorsque le virus aura disparu ? La mise sous les projecteurs de la dimension médicale ne devrait pas laisser dans l’ombre le champ du sens où se mène une bataille tout aussi âpre. Toute nécessaire et urgente qu’elle soit, la réponse médicale en appelle une autre. La conception seulement médicale du problème fait émerger une solution seulement technique reposant sur plus d’efficacité afin de neutraliser les effets du virus. Assez logiquement en somme, l’homme gouverné par la technique et les rapports de force ne peut concevoir d’autre type de défense qu’un recours à ses calculs pour imposer sa puissance. Les sociétés modernes ont édifié leur développement sur des logiques de marchés qui se contaminent à mesure que le sanitaire percute l’économique, qui percute l’énergétique, qui fait chuter le système financier. La pensée de sociétés modernes était donc déjà contaminée par une représentation malade parce que mécanique de la vie, dont nous ne voulions pas voir la fièvre et les risques d’embolie pourtant maintes fois dénoncés. L’homme moderne occidental est poussé à convertir son savoir en pouvoir et non en sagesse. De ses innombrables connaissances, il tire des vérités causales sans plus chercher la vérité finale et ultime du sens. Ce domaine ne pourrait plus faire partie de la vie commune, chacun étant renvoyé à sa croyance. Or, c’est bien par une élaboration personnelle du sens de sa vie que chacun peut s’engager dans un monde commun. La pensée occidentale se sera complu, durant les années d’intense accélération des développements technologiques, à négliger son rapport à la sagesse. La sagesse n’en reste pas aux savoirs techniques et scientifiques, mais en tire une signification plus profonde de l’existence, une signification ultime de la vie. Notre société aurait besoin d’un surcroît de sens de la vie que ses membres puissent partager, pour que l’épreuve actuelle n’efface pas toute saveur à la succession des jours.

Le crédit scientifique

La réponse apportée à la crise sanitaire se fonde sur des actions essentiellement pratiques et techniques qui prouvent que la pensée occidentale s’est délestée de la dimension métaphysique de l’existence, pourtant essentielle. Elle s’est inconsciemment recroquevillée sur l’étendue de ses connaissances, sans apporter de considération au contexte ni à l’énoncé d’un sens. Elle sait beaucoup de choses mais en goûte peu. Aujourd’hui, le pouvoir politique en France entraîne le pays dans une « guerre ». Le pouvoir est toujours hanté par la peur de perdre sa crédibilité si son impuissance était révélée. Il la conjure en usant d’une rhétorique guerrière. A mesure que les jours passent, la surenchère se poursuit et de nouveaux moyens militaires sont engagés pour faire face. Lorsqu’on a mis toute sa confiance dans son égo sans rapport avec la réalité de ses moyens, lorsqu’on s’est pris pour ce que nous ne sommes pas, il ne reste qu’à pousser jusqu’au bout la logique de sa propre puissance largement surestimée. Les habits du guerrier et le discours martial du chef de guerre ne laissent plus de place pour une autre parole qui permettrait de répondre autrement à la crise sanitaire dont les conséquences s’étendront bien au-delà de l’économie et des équilibres financiers. Elle attaque l’homme jusqu’en la racine de sa vie, puisque c’est sa vulnérabilité qui est dévoilée. « Avec le coronavirus, l’approche de la mort, touchant au plus intime de l’être humain, est partie intégrante de la gestion de la crise publique » écrivait le journaliste Guillaume Tabard. Mais est-on seulement encore capable de nommer la vulnérabilité native de l’homme ? Le recours à un conseil scientifique est un stratagème qui présuppose la confiance de l’opinion dans l’avis scientifique. Ainsi protégé par l’autorité scientifique, le pouvoir n’est plus en première ligne. L’opinion est censée donner son assentiment à la science et répondre aux oracles de la pythie moderne qui indique le chemin de la victoire. La nation ainsi gouvernée manque d’un conseil de sages connaissant la nature de l’âme humaine, sa nature sociale et son besoin de lumière qu’est la sagesse. Les commentaires médiatiques se cantonnent aux mêmes sujets techniques et pratiques : les gestes barrières et l’épineuse question de l’efficacité des masques. Mais n’y aura-t-il pas d’autres points d’attention pour calmer une angoisse existentielle ? Les garanties économiques suffiront-t-elles à donner goût au travail, saveur à l’existence si la personne est endeuillée ou doit tout reconstruire ? Faudra-t-il que l’on traite aussi les séquelles psychologiques par une nouvelle armée de psychologues ? La vraie nature de l’homme est tombée dans l’angle mort de la pensée politique et scientifique et personne ne songe à s’édifier intérieurement en regard de sa destinée.

Une nature qui échappe à notre maîtrise ?

Depuis quelques années, l’humanité avait pris la mesure de la crise écologique qui menace la biodiversité et l’habitabilité de la terre pour de nombreuses espèces. Pour autant, la relation de l’humanité à son cadre de vie naturelle, ce grand corps environnemental, a continué à se dégrader au fil des années. L’inertie des gouvernants, l’insensibilité des hommes au monde du vivant et l’âpreté aux gains ont fait que rien ne semblait pouvoir freiner ou réformer les structures techniques et économiques qui dévoraient les ressources et fragilisaient tout l’écosystème. Lancée à pleine vitesse, l’humanité courrait au désastre comme le voyait le regretté Paul Virilio. Rien qui ne soit au pouvoir de l’homme lui-même pour parvenir à s’arrêter et se réformer. Dès lors, est-il permis de penser que ce que l’homme n’a pu accomplir, la nature y parviendra par ses propres moyens ? La pandémie du covid-19 prouve que la nature sait répondre à son agresseur. Un agent pathogène rappelle le corps humain à sa vulnérabilité et les géants économiques à leurs empires de papier. En effet, cette pandémie s’est répandue comme une vague déferlant indistinctement sur tous les pays du monde provoquant un ralentissement soudain de l’économie mondiale. En quelques semaines à peine, la crise devenait l’occasion favorable pour repenser tous les mécanismes jadis si efficaces. La crise prouve que le paradigme technico-économique trouve ses limites. Mais les mentalités techno-scientifiques seront-elles capables de se réformer, ou faudra-t-il se confier toujours plus dans sa croyance en l’invincibilité de l’homme par la science ? Le mythe de notre modernité est mis à l’épreuve de la vérité.
Un virus, dont on découvrira peut-être un jour l’origine dans un laboratoire chinois travaillant sur des animaux, ayant muté et infecté l’homme, aura eu raison de la prétendue invulnérabilité humaine que les penseurs du transhumanisme annonçaient. L’égo de l’humanité a fini par oppresser la nature à un point tel, qu’elle se défend en infligeant fièvre et essoufflement à son agresseur. L’humanité semble rattrapée par là où ses excès l’ont conduite. Si la maladie révèle le mal, elle désigne en même temps le chemin de la guérison : l’humanité ne respire pas l’air sain ou du bon esprit et s’enfièvre pour des réalités qui ne le méritent pas et ne lui permettent pas de s’accomplir. Comment découvrir ce qui élève vraiment l’homme à sa dignité d’homme ?
Ce type de propos, sur la relation de l’homme à la nature qui lui apparaît hostile, ne nous est pas familier et peut surprendre. Nous n’avons pas l’habitude en Occident d’attribuer une quelconque capacité d’action autonome à la nature. Elle n’est pas un vivant conscient et nous dénions à la nature une intentionnalité cachée dans le vivant. La nature est perçue comme de l’inerte ou de l’organique sans prédétermination. C’est ici que nous mesurons l’immense décrochage des sociétés modernes avec le vivant. A l’homme moderne est interdite la naïve croyance en un ordre de la nature, même s’il demeure évident qu’une intentionnalité porte un vivant vers sa propre finalité. Nous n’en tirons aucune conclusion et ne devons pas le faire pour échapper à la menace d’un déterminisme. Il s’agit donc essentiellement d’une forme de pensée qui conditionne notre rapport au monde. Nous sommes éduqués à la fois à l’illusion de notre puissance technique et au fatalisme et à la résignation devant les calamités et la mort. Nous savons accueillir les grands chefs des tribus amazoniennes qui supplient d’arrêter la déforestation et l’exploitation des terres, mais nous ne savons pas entrer dans leur relation à la nature, dans leur relation à la terre comme une mère à respecter. Nous n’habitons pas le même siècle. Des abîmes de pouvoirs techniques nous séparent, qui ont façonné des représentations si différentes. Précisément, nous sommes enkystés dans le siècle de la technoscience qui est aussi le siècle de la suffisance de l’homme. Si d’un côté, le matérialisme scientiste donne tout pouvoir à la technique sur la nature, de l’autre, de nouvelles idéologies veulent encore s’ériger en gardiennes de la nature, exigeant avec tyrannie et violence la fin de tout élevage par exemple. La nature ne demande rien de tel : ni qu’on la souille, ni qu’on la défende, seulement qu’on l’écoute et que l’on accède à ce qu’elle contient de sens pour tout homme. Elle est riche d’un langage de sagesse que l’humanité se devrait de connaître et d’enseigner. L’homme souffre s’il est éloigné de son milieu vital. Un tel enseignement en France serait trop suspect de spiritualité et donc confine avec la religion, frappée d’interdit. La raison triomphante n’offre plus les secours de ses lumières pour pénétrer plus avant l’énigme de la vie. Notre rationalisme matérialiste se retourne contre nous. Qui nous en libèrera ? L’exigence nouvelle du soin des personnes et l’environnement qui suppose d’être à leur écoute.

La sagesse, remède à la maladie de l’esprit

Tant que nous refuserons de considérer la nature comme un don nous ne pourrons pas nous réformer. C’est donc une nécessaire forme de conversion intellectuelle et spirituelle. Tant que l’esprit de l’homme ne sera pas ouvert à l’accueil de la vie, comprise comme une pure grâce et non comme une propriété sans valeur lui ouvrant tous les droits sur la vie, tant que la nature ne sera que l’effet d’un hasard sans finalité, nous ne pourrons pas nous réformer. Tant que nous nous obstinerons à fanfaronner notre souveraine autonomie à l’égard des principes qui gouvernent le vivant, nous ne pourrons pas survivre. Le cœur de l’homme moderne est malade de sa prétention à ne dépendre de personne et de vivre sans finalité. Malade de se penser seul maître et possesseur de la nature, indifférent à la signification de sa propre nature. Tout ce que l’homme peut voir dans le monde, tout ce qu’il peut s’approprier demeure pourtant un lieu de signification pour nourrir sa propre intelligence. « Dieu » n’a plus de place dans le langage, ni dans les esprits, puisqu’il est le nom donné à l’insondable profondeur de l’esprit humain… Or, l’homme fuit l’énigme de sa propre profondeur.
L’humanité arrive en phase de congestion pulmonaire grave car elle ne respire plus de l’esprit des réalités, elle ne saisit plus que la vie lui est d’abord donnée pour qu’elle atteigne à son propre accomplissement. Échouée sur la terre, vraie vallée de larmes mise en demeure de devenir un jardin paradisiaque, l’humanité a renoncé à libérer les énergies qu’elle contient, comme si une graine pouvait se contenter d’en rester au stade de graine au lieu de tendre vers l’épi et les grains dans l’épi, moyennant son enfouissement dans la bonne terre. Cette terre est tout le travail de l’intelligence et de la sagesse qui permettent d’accéder au sens prodigieux de chaque vie humaine, dont le terme véritable nous est encore largement inconnu. L’humanité est bien davantage qu’un organisme biologique à explorer et à modifier, c’est un chef-d’œuvre spirituel à accomplir : là encore, ce propos semblera décalé. Si la rigueur scientifique ne s’aventure pas dans le champ de la philosophie de la vie, et c’est normal, la société, elle, ne devrait pas se contenter de la parole scientifique. Qu’une vie humaine puisse être encore inachevée et qu’elle puisse s’accomplir non par la vieillesse mais par la sagesse est une possibilité beaucoup trop peu explorée. Personne ne se soucie assez de ce que la vie puisse être autre chose que la somme des cellules qui compose notre corps. Notre matérialisme scientiste mondialisé, parasité par l’amour de l’argent aura fait bâtir des empires aux pieds d’argiles. Autrement dit, l’homme ne devient pleinement homme que lorsque sa densité humaine paraît par la sagesse dont il fait preuve, par la cohérence de sa pensée et l’ordre qui en découle.

Le verbe de vie, comme un vaccin contre la mort

Qu’un virus infecte des populations entières et tue aveuglément des innocents est une tragédie. Tous les malades sont d’innocentes victimes sans défense, si bien que cette pandémie est une malédiction. La réponse technique et médicale par le biais d’un vaccin sera bien sûr et heureusement la victoire attendue, mais une victoire partielle si elle n’est qu’une immunisation des corps. Elle ne sera pas encore la défaite du virus car il existe un deuxième niveau de réponse, plus essentiel et proprement humain. « Les moyens techniques et cliniques d’endiguement doivent être complétés par une vaste et profonde complicité avec le bien commun », avec ce que chacun comprend du sens de sa vie. Le virus n’est défait comme tel, que lorsque l’homme a accédé à la conscience que sa vie passagère en ce monde est une bénédiction, fut-elle mortelle. C’est en sens que nous pouvons conclure en écoutant les paroles que Pape Jean-Paul II adressait à la France, lors de la messe au Bourget le 1er juin 1980 : « Il n’existe qu’un problème, celui de notre fidélité à l’alliance avec la sagesse éternelle, qui est source d’une vraie culture, c’est-à-dire de la croissance de l’homme, et celui de la fidélité aux promesses de notre baptême au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Alors permettez-moi, pour conclure, de vous interroger : France, fille aînée de l’Eglise, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? Permettez-moi de vous demander : France, fille aînée de l’Eglise et éducatrice des peuples, es-tu fidèle, pour le bien de l’homme, à l’alliance avec la sagesse éternelle ? » Le virus n’a pas le dernier mot sur la vie humaine, parce que c’est précisément l’homme qui par sa parole donne sens aux évènements de sa vie. C’est dans la bénédiction de Dieu sur lui, qu’il écoute et reçoit, puis qu’il prononce sur ses frères que l’homme trouve la vie. Car le « verbe » est la vie des hommes. Nous devons lutter contre la pandémie tout en sortant de l’illusion de toute puissance. Nous pourrons vaincre le virus si nous pouvons aussi nous rendre à notre condition mortelle. Vaincre vraiment et sortir vivant de cette épreuve, suppose que chacun forme en soi l’antidote à la fragilité de son existence : savoir dire pourquoi nous vivons et pourquoi nous mourrons. Savoir à qui le dire : entrer en relation intime avec sa conscience, avec ses proches et avec Dieu. Chaque année, la fête de Pâques est pour les chrétiens - et à travers eux pour tout homme-, l’appel à libérer le « verbe de vie » qui se tient en chacun. A laisser le Verbe de Dieu donner vie aux hommes en Jésus, à le voir s’affronter à la mort pour la vaincre et guérir l’humanité de sa peur de mourir et de sa cécité sur la vie qui vient. A l’aube de Pâques, une parole se lève en nous qui nous tiendra en vie : le Christ Jésus est vivant.


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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