La journée de la laïcité, fixée le 9 décembre en souvenir de la loi de 1905 instaurant la séparation des Eglises et de l’Etat, est passée inaperçue. Il faut reconnaître qu’entre les pressions islamistes sur les sociétés européennes, le chantier de la cathédrale Notre-Dame de Paris, les actes antisémites et la polémique autour de la célébration de la fête juive d’Hanouka à l’Elysée, le spectre des religions semble omniprésent.
Bien au-delà de ces événements récents, une ombre menaçante s’étend sur l’ensemble des continents… l’extrémisme religieux s’invite chaque jour davantage dans l’actualité. Le recours à la transcendance divine s’offre comme une assurance à peu de frais dans un monde fracturé. Toute bénédiction du ciel est bienvenue qui donnera un surcroit d’énergie, et permettra à l’idéologie de régner sans partage. Des sociétés entières tombent sous leurs coupes. Des régimes nationalistes trouvent dans l’onction religieuse, ce surcroit de légitimité qui manque à leur politique… De la Turquie à l’Inde, en passant par Israël, sans parler de la Russie, des pays arabes et de pays d’Afrique, les religions sont instrumentalisées par des pouvoirs politiques, qui se drapent de vertu en prétextant d’agir au nom de l’orthodoxie religieuse. Cela n’aboutit qu’à de graves tensions internationales d’autant plus explosives que rien n’est plus dangereux que le sentiment religieux. La crédulité ressort avant tout d’une fragilité de l’esprit humain, qui se développe en pathologie du corps social. Étonnamment, la racine de l’extrémisme n’est pas d’abord religieuse, mais existentielle et psychique.
Rien ne serait plus funeste que d’enfermer les communautés religieuses dans le périmètre étroit de leurs certitudes. Il est l’heure de s’intéresser positivement aux questions religieuses. Sans présumer d’une quelconque affiliation, sans même l’exiger, il est nécessaire de parvenir à rendre compte collectivement des croyances qui traversent nos sociétés, avant qu’elles ne s’entrechoquent… par jalousie ou par mépris. Il est temps de nourrir les intelligences et de former les consciences afin que les préjugés ne s’enkystent et ne finissent par corrompre toute aptitude à la rencontre.
L’indifférence des sociétés européennes à l’égard des religions se retournent contre elles tant elles se découvrent dans l’état d’impuissance de comprendre les phénomènes de radicalisation sur fond d’idéologie religieuse. Comment nos responsables politiques pourraient-ils venir en aide à un corps social fracturé lorsqu’ils ont eux-mêmes abandonné tout intérêt pour ces sujets ? La laïcité n’a-t-elle pas forgé une élite politique apeurée, sourde, aveugle et muette sur les problématiques religieuses qui traversent la société ? Perçues seulement comme des réserves électorales à conquérir, les religions sont réduites à leurs aspects communautaires, devenus l’unique critère par lequel le politique pense le religieux. Rien sur leurs anthropologies, rien sur leurs doctrines de salut, rien sur leurs organisations en peuple, si bien que les responsables politiques sont incapables de parler religion sur le fond, à ceux qui, de leur côté, se sont désintéressés des problématiques de citoyenneté, d’ordre public et d’appartenance nationale. Un divorce est consommé depuis des décennies, sans que quiconque s’en soit réellement soucié. N’est-ce pas parce qu’il n’y a plus de place pour les pensées des religions qu’il n’y a plus de politique non plus ? En effet toute politique repose implicitement sur une anthropologie, sur un horizon de sens, sur une organisation sociale… Sans le dialogue qui tient politique et religion dans leurs responsabilités respectives, le religieux risque de pervertir le politique, quand son absence risque de le rendre insignifiant. En croyant pouvoir se guérir du péril des idéologies religieuses en décrétant la mort de Dieu, en reléguant les religions dans la seule sphère privée, nous commettons une erreur car jamais la divinité ne meurt dans le cœur des hommes, surtout lorsqu’ils ont peur ! Or, ce monde aujourd’hui fait peur et les voies de secours sont peu nombreuses. Les idéologies religieuses vont fleurir comme le font déjà partout les professionnels de la voyance et de la superstition. La crédulité des masses ne se dompte que par un effort accru de la raison. Elle demande un espace psychique préservé, du temps et cette certitude que « la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance » [1]. Comme le disait récemment François Sureau, « l’équilibre est extrêmement difficile à trouver entre un dialogue qui fait progresser et l’idée que malgré tout, la vérité est une. [2] » La religion et la violence n’ont pas vocation à sceller notre destin. C’est-à-nous qu’il appartient de déjouer la répétition de l’histoire.
Notes :
[1] Concile Vatican II, Dignitatis humanae, §1