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Ce qui nous rend profondément humains

Le lundi 3 février dernier, je m’entretenais avec François Lhémery, avocat et fondateur de l’Agora des directeurs juridiques, et Alexandre Carré, directeur de la rédaction d’ANews Expérience client. Nous avons évoqué la place de la spiritualité et de notre humanité dans nos sociétés, dans ce monde en constante mutation, où la technologie redéfinit nos modes de vie et nos interactions. Comment dans ce contexte, préserver ce qui nous rend profondément humains ?
Voici un petit extrait au cours duquel, je resitue l’importance de la parole dans la nature humaine et dans notre vie quotidienne.

L’intégralité de l’entretien est à écouter ici : https://youtu.be/GN_tRv7fqTw

Nous savons tous par expérience que nous sommes beaucoup plus que ce que nous voyons que nous sommes, puisque ce qui nous définit vraiment comme « personne », n’est pas ce que nous donnons à voir, mais c’est ce que nous pensons. Ce qui donne de l’épaisseur à une personne est bien ce qu’elle pense. Quand vous dites que vous connaissez quelqu’un, vous ne dites pas que vous connaissez sa tête, vous dites que vous savez ce que cette personne pense ! Il y a donc en chacun d’entre nous, dans la nature d’un être humain, tout une dimension d’invisibilité qui est la réalité de la pensée de cette personne.

La première chose que nous pouvons dire est qu’un être humain est duel. Il est composé de deux dimensions : une dimension corporelle et une dimension de la vie de l’esprit. La particularité de cette dernière, vient de ce qu’elle est faite pour donner du sens. C’est ce qui spécifie l’être humain. Il est un être qui, pour vivre, a besoin de donner du sens à sa vie. C’est absolument fondamental ! Nous sommes les seuls - c’est ce qui nous distingue des autres espèces – à avoir la nécessité de donner du sens. C’est aussi vital que la respiration et qu’un cœur qui palpite.

J’insiste beaucoup sur le fait qu’il y a ces deux dimensions dans notre vie. Il y a notre vie organique que nous savons très bien nourrir avec des protéines et des aliments. Or, nous peinons à comprendre que la nourriture de la vie de l’esprit (un esprit qu’il faut aussi nourrir afin qu’il puisse produire du sens) exige un aliment spécifique à l’être humain. Un aliment nécessaire à sa vie psychique et spirituelle qui se nomme « la parole ». C’est-à-dire qu’à longueur de journée, nous assimilons des paroles. Ces paroles nous allons les métaboliser comme des aliments. Nous allons pouvoir les réemployer pour élaborer du sens. L’être humain est un petit producteur de sens ! Il ne peut pas vivre s’il ne produit pas de sens. Je dirais même et je vais aller plus loin pour pousser la réalité : il vit vraiment à raison du sens qu’il donne aux réalités du monde, aux réalités de sa vie. Le sens n’est jamais prédonné. C’est à nous de donner du sens à l’existence que nous allons vivre. Le sens que nous allons tous élaborer progressivement au fil de notre vie, n’est jamais donné une fois pour toutes. Nous continuons à l’enrichir et à le corriger. Nous allons trouver des sens nouveaux à l’existence au fil de notre vie.

La parole est comme une autre colonne vertébrale invisible. Si bien que cette parole de sens nous tient en vie beaucoup plus que nous ne l’imaginons. C’est la fonction de la parole de dynamiser non seulement l’esprit mais aussi le corps. En vertu de cette unité de l’être humain, corps et esprit, (on parle d’une unité psycho-somatique ou somato-psychique) la parole est capable d’avoir une incidence sur la vie corporelle. Nous le savons très bien : lorsqu’une personne nous dit quelque chose et que nous lui répondons : « je ne digère pas ce que tu m’as dit ». Nous utilisons le terme typique de l’assimilation. Ou encore, « ce que tu m’as dit, m’a coupé les jambes ». Cela veut dire qu’il y a eu un effet sur mon propre corps. Ainsi rien ne dynamise davantage l’être humain qu’une parole. C’est extrêmement important. Notre société valorise surtout l’expression corporelle ou la visibilité corporelle. Il faudrait rééquilibrer en redonnant du poids à ce qui fait la capacité humaine de penser. Une société va bien quand ses membres pensent, quand on les encourage à penser. La pensée est dialogale. C’est-à-dire qu’elle suppose de dialoguer avec les personnes. Il faut pouvoir exposer son opinion, entendre l’opinion de quelqu’un d’autre et ainsi croiser les points de vue.

Pour terminer sur la question de la parole qui fait vivre, nous distinguons deux types de paroles. Des paroles dites « paroles bienfaisantes ». Mieux encore qu’une parole bienveillante qui me veut du bien, la parole bienfaisante me fait du bien. Si elle me fait du bien un jour, elle me fera encore du bien demain. Je peux la conserver en mémoire. Il est très important de conserver des paroles qui nous ont fait du bien et qui nous feront encore du bien.
A contrario, il y a des paroles qu’on appelle des « paroles toxiques ». Littéralement elles intoxiquent la vie psychique. Elles vont intoxiquer aussi la vie du corps. Je m’étonne toujours que nous soyons les champions du monde de la traçabilité des aliments, pour rappeler la première pizza qui contient des bactéries douteuses, mais nous sommes au défi de rattraper la toxicité des paroles, en particulier sur la question des réseaux sociaux. C’est préoccupant, en particulier à l’endroit de la jeunesse puisque ces paroles vont avoir un effet psychique sur ceux qui les reçoivent. Or, lorsqu’on est jeune la capacité de se mettre à distance de ce qu’on entend est plus faible.

Concluons : ce qui fait que nous sommes « un être humain », c’est que nous avons une double dimension « corporelle » et « psychique et spirituelle ». Nous sommes un être de sens et nous avons besoin de donner du sens. C’est cela qui fait notre humanité. Encore une fois, le sens n’est pas donné à l’avance. Ce n’est pas une malfaçon, cela participe de l’accomplissement de mon humanité que de parvenir à donner du sens.


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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