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Ramadan et carême : le temps de rêver un nouvel ordre social

Avec la perspective de la constitutionalisation de l’IVG, avec l’arrivée rampante de l’euthanasie, les responsables de l’Eglise catholique de France ont fait part de leur tristesse. L’Eglise catholique avec les autres institutions religieuses ne doivent pas se contenter de contester les déviances de l’époque, elles doivent appeler patiemment et courageusement à un nouvel ordre social. L’ordre social est par définition l’ordre des corps. C’est l’ordre qui régule les nécessaires relations entre les corps. Or cet « ordre des corps » est un impensé. Il apparaît donc nécessaire d’en rappeler les termes. La condition humaine s’éprouve toujours et invariablement à travers trois corps : le corps individuel, le corps social et le corps environnemental. Examinons chacun de ces corps pour en comprendre leurs relations, leurs interdépendances et partant la joie de vivre !

Le corps individuel est notre corps charnel. Nous avons pris l’habitude de penser que ce corps est à nous, qu’il nous appartient, c’est « notre » corps. Généralement, nous le confondons aisément avec notre vie. Ce corps se présente comme notre bien propre et se doit d’être à notre disposition exclusive. Les textes législatifs qui accordent des droits nouveaux aux individus sur leur corps sont sans cesse en augmentation. Chacun se doit d’être l’entrepreneur de son propre corps. Des tatouages jusqu’à l’homme augmenté, ce corps est l’objet de toujours plus d’attention et de surveillance. C’est un peu comme si nous ne devions jamais le perdre, comme si nous ne pouvions jamais le perdre. Que ce corps soit mortel et que notre pouvoir sur lui soit très relatif semble aujourd’hui une ineptie. Face à l’évidence, on se voile la face.

Le corps social semble accessoire, il est pourtant vital. Il est vital aussi pour le corps charnel. En effet, nous sommes tous des êtres de relations. Nous sommes constamment en relations et nous vivons de paroles. Notre vie physique dépend des soins que nous avons reçus dès notre naissance. L’enfant n’est viable que s’il est assumé dans un tissu de relations sociales qui pourvoient à sa vie : des relations d’affections, de paroles, de connaissances, de partage… La vie psychique elle-même se déploie à partir des relations et des limites que nous développons avec l’environnement social. Au cœur de la vie de tout corps social, nous découvrons des interdits et de lois qui s’imposent à chacun des membres de ce corps. Le tout premier corps social que nous connaissons est la famille, puis plus largement la société, et plus largement encore l’ensemble de la famille humaine. Ce corps social national et mondial est aujourd’hui en grande souffrance. Notre société française et l’humanité entière sont au défi de leur unité. En effet, la vie de toute société dépend de son unité et son unité dépend à la fois de la justesse et de l’obéissance à ses lois.

Enfin, il y a le corps environnemental, celui auquel nous ne pensions jamais comme un vrai corps avant que la crise écologique ne nous y rende sensibles. Le cri de la terre n’est pas une illusion. Ce corps, comme le corps social, est un « corps commun » mais celui-ci est unique : il n’y en a pas d’autre. Le changement climatique nous rappelle que ce corps a lui aussi ses propres lois et qu’on ne peut les transgresser durablement sans menacer sa survie. De même que notre corps charnel ne saurait subsister sans l’air, la lumière, l’eau nécessaire à son développement, le vaste corps social mondial – toutes les sociétés - ne saurait connaître des relations pacifiques sans instaurer des régulations de partage des ressources communes dont chacun a besoin pour vivre : partage de l’eau, partage des récoltes, partage des ressources minières, etc… Ce corps est commun à tous et tous en sont responsables. Nous sommes tous en lui et dépendants de lui.

Ainsi à la manière des poupées russes, nous voyons que nous habitons tous simultanément trois corps, que nous distinguons ici artificiellement, mais qui n’en forme qu’un seul, permettant l’expérience de la vie humaine. La tendance lourde qui a privilégié la vie du corps charnel individuel se paiera tôt ou tard dans les déséquilibres du corps environnemental et dans des pathologies sociales. Quel est donc le bon équilibre ?

Chacun a pu prendre la mesure que ce XXIème siècle serait un siècle de refondation d’un ordre social. Les niveaux d’interdépendances des peuples sont tels que seule une entente permettra d’éviter les conflits. Hélas, l’actualité nous enseigne que nous sommes plus enclins à choisir l’absurdité de la puissance, de la volonté de domination et donc de la guerre, que celle d’une intelligence du partage, celle de l’évidence du bénéfice supérieure de la communion. Les conflits d’aujourd’hui ne doivent pas détourner notre société des enjeux essentiels de l’unité et de la paix. Par-dessus tout, l’Eglise catholique se doit d’être, à travers son Pasteur suprême, ses leaders et tous ses membres, une servante de la paix et de l’unité de la famille humaine. Elle ne peut l’imposer à personne, mais exhorter à faire preuve de bon sens, d’intelligence et de cœur. C’est le sens de l’amitié sociale encouragée par le Pape François dans sa 3ème lettre encyclique Fratelli tutti sur la fraternité, encore trop peu reçue dans les milieux politiques. Une conversion des chefs d’État à l’amitié et à l’unité est une perspective de paix plus certaine que la défense de ses intérêts. « Celui qui ne vit pas la gratuité fraternelle fait de son existence un commerce anxieux ; il est toujours en train de mesurer ce qu’il donne et ce qu’il reçoit en échange [1]. »
La conscience de l’humanité doit donc muter. A la mutation technologique des intelligences artificielles doit correspondre la mutation spirituelle des intelligences. L’humanité doit monter d’un cran dans la qualité des relations entre les personnes, entre les peuples. Le développement ne peut plus s’envisager contre les autres, mais seulement avec les autres, fussent-ils les ennemis d’hier. La jeune génération devra donner au monde les chantres de son unité. A l’ère de la mondialisation numérique, elle devra susciter des figures capables d’incarner sur la scène mondiale, le projet de fraternité toujours présent dans les cœurs. La paix sera longue à s’établir dans les espaces du monde où les vacarmes des armes fait rage. La vérité, la justice et le pardon seront les passages obligés pour que respirent enfin des peuples qui partagent au fond la même et unique nature humaine. Il n’est jamais vain de rappeler ces exigences de vérité, de justice et de pardon car elles seront tôt ou tard l’horizon des peuples.

Il demeure qu’un nouvel ordre social, implique de veiller au juste équilibre entre le corps individuel et le corps environnemental.
En accordant des droits catégoriels sans frein, le législateur hypothèque gravement l’unité de la société et la fragmente, poussant les gens à demander toujours plus de droits. L’individualisme est un poison. Ce ne sont jamais des individus qui forment une société, mais une société qui engendre des individus et reconnaissent leur dépendance dans une citoyenneté assumée. Le corps environnemental porte les stigmates de cet individualisme consumériste qui asphyxie aussi bien le vivant dans son ensemble que les groupes sociaux qui n’entrent plus en amitié. La crise écologique ne trouvera pas sa solution seulement dans les innovations technologiques. Sa clé de résolution se trouve dans l’esprit et le cœur des hommes et des femmes qui sauront retrouver l’unique et indépassable but de leur existence : l’amour. C’est la mission de l’humanité que d’éclairer ce monde d’une lumière qui n’est pas seulement faite de photons mais de dons !
Dans son homélie du 21 mars 2021 à Erbil, capitale du Kurdistan irakien, le Pape François implorait de s’attacher à Jésus, source d’espérance. « Il nous libère d’une manière de comprendre la foi, la famille, la communauté, qui divise, qui oppose, qui exclut, afin que nous puissions construire une Eglise et une société ouvertes à tous et soucieuses de nos frères et sœurs les plus nécessiteux. Et en même temps, il nous fortifie afin que nous sachions résister à la tentation de chercher à se venger, qui fait s’enfoncer dans une spirale de représailles sans fin. Avec la puissance de l’Esprit Saint, il nous envoie témoigner que l’Evangile a le pouvoir de changer la vie. Le Ressuscité fait de nous des instruments de la paix de Dieu et de sa miséricorde, des artisans patients et courageux d’un nouvel ordre social. » Le corps du Christ n’est donc pas sans valeur pour aider à articuler comme il le faut ces trois corps. Ce corps du Christ – que l’Eglise fait profession de prolonger dans les siècles - contient des éléments qu’on ne trouvera nulle part ailleurs : le don, la gratuité, le pardon.

A quel moment les personnes seront-elles lasses d’avoir toute licence, tous les droits sans répondre de devoirs ? A quel moment les personnes comprendront-elles qu’elles forment depuis toujours ensemble une seule famille humaine, transcendant les différences de cultures, de races, de religions, et que l’humanité est une ? A quel moment les personnes comprendront-elles que l’écosystème ne peut supporter indéfiniment des modes de vies qui ruinent son fragile équilibre ? A quel moment les religions comprendront-elles que la joie de Dieu est dans la communion des hommes ? Les clés d’un nouvel ordre social ne nous sont pas inconnues. Elles se nomment l’amitié, la gratuité et le don. Elles sont offertes dans l’existence de Jésus-Christ vivant de l’amour de son Père. « Son existence apparaît comme une grammaire de l’existence humaine pour tout homme ». Elle nous délivre des entraves de la peur qui nous tiennent à distance des autres. Ces clés transcendent les familles religieuses et sont accessibles à chacune d’elles. Elles seront les pivots d’un monde respirable pour la génération qui vient. Les graves tensions que nous connaissons seront soit les douleurs d’un enfantement, l’enfantement d’un nouvel ordre social, soit celle d’un effondrement. Cela dépend d’un réveil spirituel. Ce réveil de la vie spirituelle était le vœu de l’année 2024. Puisse l’entrée dans le mois de Ramadan, coïncidant avec le temps du carême déjà commencé, permette aux quatre milliards de fidèles de ces deux religions de s’engager résolument dans la paix, l’unité et la fraternité.

Notes :

[1Pape François, Fratelli tutti, 2019, n°140


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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