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Le Pape François et l’inédit d’une réforme

Pourquoi l’action du Pape François est-elle si importante ? Pour tenter de comprendre l’importance du pontificat du pape François et pour apprécier ce qui en fait un Pape réformateur, il faut nous rapporter à l’action de Saint François d’Assise, qui inspire tant l’actuel Pape. De même que le jeune François d’Assise répondit à l’appel du Seigneur à rebâtir son Eglise en initiant l’ordre des frères mendiants, les franciscains, le Pape François entend aussi rebâtir l’Eglise en l’ouvrant à l’action de l’Esprit-Saint. Autrement dit, François entend porter une réforme de l’Eglise à partir de l’action de l’Esprit-Saint dans le cœur des fidèles. C’est ce que l’on appelle une endo-contribution par opposition à une exo-contribution qui serait une action sur l’Eglise comme depuis une autorité agissant de l’extérieur. François sait que la réforme de l’Eglise vient par les fidèles en qui l’Esprit-Saint vit et agit.

Retour sur l’histoire

Pour bien saisir le cadre dans lequel s’inscrit son activité de Souverain Pontife, il faut opérer un petit retour sur l’histoire de l’Eglise en Europe et plus particulièrement, pour nous, en France. Le catholicisme qui fut la religion de la majorité des Français jusqu’à la fin du XXème siècle, ne l’est plus. Dans ce nouveau contexte et pour continuer sa mission, l’Eglise catholique doit interroger son rapport à l’histoire de la société.
Le catholicisme, tel qu’il s’est inscrit dans le paysage social et dans les mémoires, a été largement façonné par le rêve caractéristique du XIXème siècle : la réinstauration d’une société chrétienne [1]. A cela s’ajoutait l’idéal d’un ordre chrétien des relations internationales du fait de l’influence des puissances européennes sur le reste du monde. Ce rêve fut porté dans un récit prouvant par la domination, la vérité du christianisme. Dans ce sens, un récit de la Tradition (dont le T majuscule traduit l’universalité) s’est peu à peu construit permettant d’assumer le dépôt des traditions (le depositum fidei), et d’assurer aux différents peuples, la promesse d’unité et de stabilité de l’Eglise dans un monde mouvant.

Il est essentiel de comprendre que la forme actuelle de l’Eglise catholique, s’est formée en réponse à la Réforme protestante. Avec le Concile de Trente (1545) puis avec le premier Concile du Vatican (1868), l’Eglise catholique n’a pas seulement réaffirmer l’importance de la vie sacramentelle et de l’autorité pontificale, elle s’est vue entrainée dans une sorte d’exclusivisme sacramentel qui a progressivement réduit son témoignage à une dimension essentiellement cultuel. Ce faisant, l’autorité du Pape, de l’évêque et des prêtres est devenue la clé de voûte de l’architecture ecclésiale. Le garant de l’unité de l’Eglise en devenait l’unique régent. Se démarquer du protestantisme conduisit à minorer les voies de sanctification que sont aussi l’étude biblique et théologique, le service des pauvres et l’engagement dans la culture contemporaine. La seule pratique cultuelle finit par signifier la foi au Christ et l’appartenance à l’Eglise. Mais les connaissances des fidèles en matière biblique, théologique et historique restèrent assez pauvres.

Le deuxième Concile du Vatican allait apporter une réponse avec l’acceptation d’un principe de changement : pasteurs et fidèles forment ensemble le Peuple saint, au titre du baptême qui les a sanctifiés. La liturgie est adaptée et fait désormais retentir l’amplitude de la parole biblique. Cependant personne ne put vraiment assumer explicitement un changement, car l’avouer aurait donné l’impression de trahir sa Tradition, gage d’une forme de stabilité immuable. Et cela n’a pas manqué puisqu’un schisme s’en est suivi.

Très certainement, le concile Vatican II conservait le rêve d’assoir sur les sociétés une autorité spirituelle et temporelle, sans que la sécularisation soit clairement comprise dans tous ses effets. Ainsi les matrices théologiques, canoniques et liturgiques furent-elles préservées pour assumer cette mission dans le monde. Cinquante plus tard, la sécularisation s’est accentuée et a fini par sortir l’Eglise de son rêve. Mais c’est encore au Pape, gardien de la Tradition, dont la juridiction de Souverain Pontife s’étend sur la totalité de l’univers, qu’il revient de provoquer un réveil qui prend la forme du synode sur la synodalité. Le changement est ici dans le nom lui-même. L’Eglise n’est plus seulement cléricale mais synodale, et c’est à cette condition qu’elle assume vraiment la totalité des membres qui forment le Peuple de Dieu. Il fallait repenser la place de la prescription qui dominait dans la vie des fidèles. L’Eglise comme système normatif laissant peu de place à la liberté intérieure, à la créativité et aux charismes, ne pouvait que susciter une forme de répulsion alors que par ailleurs, les sociétés connaissaient de multiples innovations et transformations. Ainsi, sous l’effet de la sécularisation gagnant la vie des fidèles, une dissonance profonde s’est faite jour entre l’appartenance à l’Eglise et la pratique. Toute réaffirmation de la norme creusait cette dissonance et éloignait les fidèles. Les effectifs du clergé commencèrent à baisser. L’Eglise allait devoir faire face à la réalité incontestable du XXème siècle : l’autonomie du sujet. La révolution épistémologique et avec elle, l’augmentation des connaissances opéraient une montée en compétences des fidèles. La liberté de conscience et la liberté religieuse s’imposèrent jusque chez les fidèles catholiques et furent consacrées lors du Concile Vatican II.

Devant de tels bouleversements, l’institution voyait le périmètre de son influence diminuer. Elle dut estimer politiquement trop dangereux d’exposer son affaiblissement et ses propres faiblesses, si bien qu’elle s’est enfermée dans un réflexe de silence (notamment sur les crimes sexuels commis par des clercs). A l’heure de la nouvelle révolution épistémologique avec l’arrivée des technologies numériques, des intelligences artificielles et de la vitesse de diffusion de l’information, la transparence est venue à bout des silences. C’est dans ce contexte d’une institution décrédibilisée moralement et marginalisée socialement que le Pape François engage l’Eglise dans la voie d’une indispensable remise en question. Mais cette fois-ci, la remise en question doit venir des fidèles eux-mêmes par la vérité de leur qualité de membres responsables de l’Eglise.

La méthodologie du synode

En juin 2023, le synode sur la synodalité est entré dans son ultime phase de préparation avec la publication du document de travail (instrumentum laboris). Ce document a pour fonction d’aider au discernement et doit permettre de susciter les échanges selon la méthodologie du synode. L’unité de l’Église et sa mission demeurent les questions fondamentales : de quelles manières se réalisent-elles aujourd’hui du niveau local au niveau universel ? Pour François, c’est à partir de la conscience de la mission commune de chaque baptisé que se réalisera une communion dans l’Esprit-Saint. La méthode synodale doit permettre l’écoute de tous, dans la prière, dans le discernement. Alors la diversité, trop spontanément comprise comme une dynamique de division et de polarisation, doit permettre l’écoute et la conversation spirituelle.

Cette démarche du synode, voulue par le Pape François, répond à trois priorités. La première est de montrer que l’Eglise est une communion qui rayonne. Il s’agit d’être davantage « signe et moyen de l’union avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » selon les termes du Concile Vatican II. La deuxième priorité consiste à chercher la manière de partager les dons et les charges au service de l’Evangile. En effet, tous les baptisés sont « co-responsables de la mission ». La troisième priorité concerne la gouvernance et l’autorité pour revitaliser des structures existantes ou penser à de nouvelles structures. Il s’agit donc clairement de mettre l’Eglise catholique en capacité d’annoncer la Parole de Dieu dans un monde profondément transformé.
Tous les observateurs comprennent combien le Pape François, après avoir offert une précieuse parole sur les enjeux écologiques (Laudato’si) en 2015, puis sur les enjeux de fraternité et d’unité de la famille humaine (Fratelli tutti) en 2019, s’applique aujourd’hui sans relâche à un exercice d’« endo-contribution » pour permettre à l’Eglise de remplir sa mission dans ce contexte de sociétés multiculturelles et plurireligieuses. Il souhaite que les réformes viennent non de l’extérieur ou d’en haut (d’un pouvoir préétabli), mais de l’intérieur, donc de l’Eglise elle-même, c’est-à-dire des fidèles.

A la lumière des rapports de l’Eglise catholique à l’histoire, ayant intégré les effets de la forte sécularisation, c’est à travers cet exercice synodal mondial, que le Pape entend faire témoigner l’Eglise par isomorphisme. Elle réalise la manière inédite de résoudre les défis qui se trouvent devant nos sociétés. En permettant à chacun de faire entendre sa voix et d’engager sa responsabilité. L’Eglise n’a pas de mandat divin pour régenter le monde, mais pour servir et diffuser l’amour qu’elle reçoit du Seigneur. Ainsi est-elle un Peuple conduit par l’Esprit-Saint, témoin de l’amour de Dieu pour tout homme, servante de l’unité, au service des sociétés dans lesquelles elle est insérée. Devenue minoritaire en France, l’Eglise catholique peut trouver par l’exercice synodal, les ressources dont elle a besoin pour renouveler son organisation et mieux répondre ainsi à sa mission.

Notes :

[1Sur ce sujet, "L’Église et le XIXe siècle" : https://www.ktotv.com/video/00413444/leglise-et-le-xixe-siecle


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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