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La politique phagocytée par les écrans ?

Les conséquences des technologies sur la politique, sur la pensée politique, sont aujourd’hui patentes et inquiétantes. Le politique est passé en quelques années sous la coupe du pouvoir très puissant de tous types de médias contrôlant la diffusion d’images et de paroles. Si autrefois l’autorité politique se servait du relais médiatique pour porter sa parole et demeurer en surplomb de la société, les rôles sont aujourd’hui inversés. C’est l’autorité numérique qui surplombe la scène politique et distribue sa parole à sa guise. Plus encore, le pouvoir des médias consiste à interroger les possibles, à conjecturer l’avenir, allant parfois jusqu’à prédire le futur.

La parole politique apparaît de plus en plus malmenée et phagocytée par l’appareil médiatique. Non seulement en France, mais partout dans le monde. Ce qui est dit sur ce qui a été dit, est finalement plus important que la parole originelle. Celle-ci est immédiatement disséquée, , mise en doute et dissoute dans les flots ininterrompus de commentaires. Que reste-t-il alors sinon de vagues impressions, des ressentis ? Ressentir au lieu de penser est certainement le mal de notre siècle. Les images pèsent désormais davantage que les discours. Le primat de la vision sur l’audition ne se dément jamais et l’omniprésence des écrans est un levier ultra-puissant de captation de l’attention.

Le débat politique s’est déplacé des espaces de rencontres interpersonnelles vers des espaces numériques simulant des rencontres sans véritables échanges. Le lieu du débat politique n’est plus l’Assemblée nationale, mais l’Assemblée est devenue un objet du débat parmi d’autres. De sujet, elle devient objet et se fait digérer dans la matrice technologique.

Les personnalités politiques n’échappent pas à cette tendance. La communication du gouvernement passe aussi par des tweets. L’envoi de message via les réseaux, le partage de vidéos, ou des interviews télévisées ne remplacent jamais la parole échangée sans intermédiation technique. Or, on se sert du porte-voix que constituent les technologies. En parlant ainsi à tout le monde, on ne parle à personne en particulier, ce qui accroit d’autant le sentiment de mépris. Les technologies ne sont pas de bons relais pour dialoguer. Elles amplifient l’expression de soi, la mise en scène de soi, mais ne permettent pas la rencontre authentique. La vie politique, l’élaboration d’un projet politique exige davantage qu’une communication sur le seul espace des réseaux sociaux.

En entrant dans la sphère technologique, la politique a consenti à sa propre dépréciation. Et voici pourquoi ? Parce que la parole portée par un souffle s’adresse à l’esprit, à la raison, tandis qu’une image s’adresse à la sensibilité et donc à la pulsion. En étant de plus en plus immergées, sinon noyées dans un déluge d’images, les sensibilités sont sursollicitées, les réactions sont de plus en plus émotives et pulsionnelles.

La diffusion de photos numériques créées par des intelligences artificielles (fake) va produire dans l’opinion des réactions instinctives, des réflexes émotifs qui précèdent et empêchent toute réflexion. Le cas récemment de photos montrant l’arrestation de Donald Trump ou celles plus innocentes du Pape François revêtu d’un anorak bibendum emportent des effets dans l’esprit et la mémoire de ceux qui les regardent. Des traces demeurent qui forment ou déforment l’opinion que l’on se fait d’une situation, d’une personne. Le monde des écrans sera de plus en plus un monde d’illusions qui fait obligation d’un recul critique. Or, celui-ci demande un effort et du temps, que nous ne sommes probablement pas encore prêts à donner.

S’il est possible de voir tout et n’importe quoi sur les écrans, de vrai ou d’artificiel, il est aussi possible de dire tout et n’importe quoi à l’antenne, sur les plateaux, dans les interviews ou les vidéos. Les digues de la décence ont sauté. La haine se diffuse en toute impunité. Elle aussi laisse des traces. Des manifestants avec une tête au bout d’une pique, par exemple, installent impunément une forme de légitimation par la seule existence de l’image. De même, des flots de paroles sans volonté d’entrer dans un débat sont une tactique opératoire pour donner du crédit à des mensonges. L’outrance s’est invitée dans tous les espaces de diffusions d’information. Il est possible de dire les choses les plus insensées sans être arrêté ou contredit, comme le rejet de la légitimité des urnes. L’indignation est un levier de contestation et sans doute de destruction des systèmes en place. Ainsi, les militants de « Révolution permanente » invités sur les plateaux, peuvent monopoliser la parole sans autre but que d’occuper le temps d’antenne et contester aux autres invités le droit de parler : « comment osez-vous parler au nom des soignants, des travailleurs… ? » C’est un classique de la rhétorique plutôt efficace car il installe le discrédit. La parole est alors captive de la puissance des images. N’est-ce pas le « wokisme » appliqué à la vie politique par le prisme des outils médiatiques ?

La grande perdante de l’effervescence actuelle des technologies qui bouleversent le monde de l’information est sans nul doute la vérité. C’est elle qui disparaît de l’horizon d’un monde commun. Ce n’est plus à partir de la vérité recherchée que l’on se détermine, c’est à partir d’une vérité énoncée par le système injonctif de vérité.

Myriam Revault d’Allones démontre bien que « la vérité n’a plus d’effet sur le réel » [1] : « J’ai voulu montrer que la post-vérité déborde la question des médias et même celle de la politique au sens étroit du terme. Elle questionne la possibilité même d’un monde commun. L’effacement de la vérité comme norme atteint les relations entre les individus, pas seulement au niveau de la rationalité, mais aussi au niveau de l’échange sensible [2] ».

Or, c’est la vérité aussi qui supporte les trois clés de la devise républicaine. Que seront la liberté, l’égalité et la fraternité, si la vérité est liquidée ou dissoute dans l’acide d’une information polluée par l’animosité ?

Notes :

[1Myriam Revault d’Allonnes, « La Faiblesse du vrai. Ce que la post-vérité fait à notre monde commun », Le Seuil.

[2Myriam Revault d’Allonnes, : « La post-vérité attaque le socle de notre monde commun » Par Thibaut Sardier — Libération - 19 octobre 2018.


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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